Offensives allemandes de 1918
 

Annoncée tous les jours par la presse allemande depuis le mois d'octobre 1917, la grande offensive d'Occident avait vu son échéance sans cesse retardée, et l'on en parlait encore en mars 1918.
En Allemagne même, tout un parti fort puissant y était opposé, dont le chef n'était autre que M. von Kuhlmann, ministre des Affaires étrangères maintenant que la Russie était hors de cause, ce diplomate était d'avis que l'Allemagne avait gagné la guerre, quoi qu'il pût arriver, puisque l'Orient lui était désormais ouvert ; et devant les difficultés qu'il prévoyait en France, il estimait le moment venu de faire des propositions de paix aux puissances occidentales.

Un petit sacrifice consenti, de ce côté, ne lui paraissait même pas susceptible d'amoindrir d'une manière appréciable les immenses bénéfices que promettait l'Orient. Ce fut là le thème d'une campagne de presse fort active qui se développa en Allemagne et eut aussi des échos dans certains organes des pays de l'Entente.

Mais le parti pangermaniste, qui recevait ses directives de Hindenburg et de Ludendorff, veillait jalousement.
Il triompha assez facilement du ministre et de ses velléités de conciliation; et, en définitive, sans que les immenses préparatifs de la ruée finale eussent même été interrompus un seul instant, tous les esprits allemands se trouvèrent bien pénétrés de l'idée que la guerre devait être poussée à fond et qu'elle ne pouvait se terminer que par l'écrasement définitif de la France et de l'Angleterre.

Le plan conçu par Ludendorff est simple et brutal. Il s'agit d'un coup de massue porté avec toutes les forces disponibles en un seul point, convenablement choisi. Ce point sera la région de Saint-Quentin où est la soudure des forces anglaises et françaises. Le Grand État-major allemand sait bien que la principale faiblesse de l'Entente est dans l'absence d'un commandement unique.
Si donc les Allemands réussissent à pénétrer en coin entre les Anglais et les Français, les deux grands alliés ne seront vraisemblablement pas capables de coordonner leurs efforts.
Dès lors, les Anglais se retireront tout naturellement vers les ports de la manche où sont leurs bases, et les Français n'auront même pas le temps de revenir de leur surprise et de les appuyer efficacement. Isolés eux-mêmes, ils seront rejetés vers le sud, et les chances seront grandes d'une victoire décisive.
Pour cacher le plus long temps possible à l'ennemi le point d'attaque choisi, de nombreuses démonstrations combats d'artillerie, attaques d'infanterie de faible envergure, ont lieu depuis le début de l'année un peu dans tous les secteurs du front ; en Champagne, en Alsace, en Lorraine.
Quand l'attaque se déclenchera, elle sera accompagnée d'un redoublement d'activité et d'une formidable préparation d'artillerie, déchaînée depuis la mer jusqu'à la Suisse.

Ainsi, même s'ils avaient l'intention, ce qui est peu probable, de mettre leurs réserves en commun, Français et Anglais, préoccupés chacun du sort de leur secteur, conserveront jalousement leurs disponibilités et laisseront l'offensive allemande progresser librement.

Tout cela était fort bien conçu et l'exécution semble avoir approché de la perfection.
Malheureusement, une erreur stratégique fondamentale condamnait ce plan à l'échec : il ne prévoyait qu'une attaque, formidable il est vrai, mais unique.
Cette méthode simple et brutale avait triomphé en Russie, et l'homme à qui elle avait procuré dans ces vastes régions une gloire éclatante lui demeurait fidèle, sans songer que, sur le nouveau théâtre où il allait manœuvrer et devant l'organisation et la valeur des nouveaux ennemis qu'il avait à combattre, les conditions de la lutte se trouvaient profondément modifiées.
La caractéristique du choc allemand, produit par des masses considérables admirablement entraînées, appuyé par des moyens formidables et favorisé par la surprise, est d'être irrésistible au premier moment.
En tout état de cause, les troupes de première ligne qui le subissent sont annihilées; seule, une intervention des réserves est susceptible d'enrayer ses progrès.

Or, en Russie, où l'immensité du front et la rareté des moyens de communication rend cette intervention des réserves très lente; où, au surplus, le matériel dont disposent les troupes en ligne est défectueux et insuffisant ; où le moral des soldats et celui de toute la Nation sont affaiblis par une savante campagne de démoralisation, un semblable procédé devait à coup sûr réussir, et occasionner, sinon immédiatement un désastre irréparable, du moins la dislocation assez rapide du front.
Mais, en France, les troupes de première ligne sont fort bien armées et leur moral est très élevé ; le front est moins étendu et les moyens de communication sont nombreux et rapides, de sorte que les premières réserves n'ont jamais plus de 200 kilomètres à parcourir par voie ferrée pour intervenir efficacement et colmater une brèche au lieu de 1200 kilomètres en Russie, par de mauvais chemins.
Ici, l'offensive brutale sur un seul point ne peut guère aboutir qu'à la formation d'une poche plus ou moins profonde que l'intervention rapide des réserves limitera, puis réduira, car aucun autre secteur du front ne sollicite l'appui de ces réserves et le défenseur demeure libre d'en disposer à sa guise.
Pour faire mieux, il eût fallu consacrer moins de moyens au premier coup de boutoir et le renouveler plusieurs fois en des points très éloignés, afin de disloquer le front et d'obliger nos réserves à des rocades épuisantes.
Mais, bâti en force, Ludendorff manque de souplesse; Ses Etats-majors en manquent aussi.

 
Bataille de l'Empereur (du 21 mars 1918 au 31 mars 1918)
 

Y étaient :

 

Donc, le 21 mars, le front s'enflammait de la mer à la Suisse, et, en maints endroits, se déclenchaient des préparations d'artillerie avec un luxe de munitions qui rappelait les orgies de Verdun ou de la Somme.
Cependant, cette préparation fut particulièrement violente dans la région comprise entre la Scarpe, à l'est d'Arras, et Vendeuil, à une dizaine de kilomètres au sud de Saint-Quentin.
Grâce aux minenwerfer, aux canons de calibres inconnus, à des obus toxiques nouveaux bourrés d'ypérite, les Allemands réalisèrent encore une fois la zone de mort intégrale sur ce front de 80 kilomètres.
C'était surtout sur l'effet moral produit par les obus toxiques que Ludendorff comptait pour forcer la victoire.
Il y avait là, depuis la Scarpe jusqu'à la route de Péronne à Cambrai, deux Armées britanniques: la 3e, du général Byng, le vainqueur du Cambrésis, avec 9 divisions en première ligne et 5 en deuxième ; et au sud, s'étendant jusque dans la forêt de Saint-Gobain, où elle se soudait aux Armées françaises, la 5e Armée du général Gough, avec en première ligne 10 divisions d'infanterie et en deuxième ligne 3 divisions infanterie et 3 divisions de cavalerie.
Le quartier général de Byng était à Albert, celui de Gough à Nesle.
Byng a 6 divisions entre Croisilles et La Vacquerie; Gough en a 10 de la Vacquerie à La Fère.
Contre ces 16 divisions se ruent, à partir de 9h30 du matin, 37 divisions allemandes appartenant à la 3e Armée du général von der Marwitz, à la XVIIe Armée d'Otto Von Below, flanquant l'attaque au nord; à la XVIIIe Armée de von Hutier, l'appuyant au sud.
Le brouillard est intense; les défenseurs sont étourdis par le furieux bombardement qu'ils viennent de subir, et les épaisses nappes de gaz qui enveloppent les tranchées favorisent encore la surprise.
Cependant, comme les soldats de Byng (59e, 6e, 51e, 17e, 63e et 17e divisions) s'attendaient depuis longtemps à l'attaque, l'étonnement fut de courte durée, et bien vite la résistance devint énergique.
En face de Marcoing l'ennemi ne put réaliser aucun progrès, en dépit des plus vigoureux efforts. Plus au nord, vers Croisilles, il réussit bien à enlever les premières tranchées britanniques, niais son élan se brisa contre les fils de fer de la deuxième ligne et il éprouva de lourdes pertes.
Au contraire, l'Armée de Gough qui se croyait en sûreté parce que la plus grande partie de son front était couverte par les marais de l'Oise, fut surprise.
Les marais de l'Oise étaient à sec ; ils n'arrêtèrent pas ces colonnes d'assaut allemandes et celles-ci submergèrent les tranchées britanniques. Dans la soirée, la 5e Armée était rejetée derrière le canal de Crozat, entre Saint-Simon et Tergnier, et cette dernière localité était même enlevée par l'ennemi.
En somme, cette journée, au cours de laquelle ces Allemands, profitant de tous les avantages d'une longue préparation et de tous les effets de la surprise, avaient engagé contre 16 divisions britanniques, outre leurs 37 divisions de première ligne, 27 divisions de renfort, soit un total de 64 divisions, avaient creusé dans le front de nos Alliés deux poches inégales : l'une, assez faible, dans la région de Croisilles, en direction de Bapaume; l'autre plus importante, de La Vacquerie à La Fère, en direction de Ham.
Mais, dès que les guetteurs britanniques ont signalé les masses allemandes quittant leurs tranchées, le maréchal Haig, prévenu, a immédiatement téléphoné au général Pétain qui, sans perdre une minute, a alerté ses réserves.
Depuis longtemps, on avait envisagé, au Grand Quartier Général français, les diverses hypothèses que pourrait tenter de réaliser une offensive allemande ; on peut bien croire que celle d'un rush sur le point de soudure franco-britannique n'avait pas été oubliée :
Pétain ordonne donc au général Pellé, commandant le 5e Corps, dont les divisions (9e,10e,125e divisions d'infanterie et 1e division de cavalerie à pied) sont près de Compiègne, de se tenir prêt à embarquer ses unités.
Le général Humbert, commandant la 3e Armée, qui est à Clermont, et le général Fayolle, commandant du G.A.R.(groupe d’armée de réserve) sont avisés de cet ordre et avertis qu'ils pourront être appelés, eux aussi, dans la région de La Fère. Le général Debeney, commandant la 1e Armée, à Toul, reçoit l'ordre de préparer les transports nécessaires pour le cas où ses troupes, qui sont en ligne en Lorraine, devraient être ramenées vers Noyon.
A midi, la 125e division, transportée par camions, débarque déjà à l'est de Quierzy (dont fait parti les 76e, 131e, et 113e régiments d'infanterie et 245e d’Artillerie),dans le secteur de la 58e division britannique : elle doit assurer la liaison entre les Anglais et l'Armée Degoutte. Les trois autres divisions du 5° Corps seront jetées dans la région de Noyon, au  fur et à mesure de leur débarquement.
Le général Humbert installe à Montdidier le quartier général de la 3° Armée.

La nuit du 21 au 22 mars est calme.
Après leur ruée de la veille, les Allemands sont obligés de réorganiser leurs unités effroyablement mélangées.
Ce désordre extraordinaire s'explique par la formation de combat adoptée. Les divisions qui, par endroits, étaient sur deux ou trois de profondeur, occupaient chacune un front de 2 kilomètres avec, en général, deux régiments en première ligne et un régiment en réserve. Dans chaque régiment, les trois bataillons étaient échelonnés en profondeur et chaque bataillon fournissait deux vagues d'assaut: la première vague constituée par deux compagnies et par les mitrailleuses légères ; la deuxième vague, qui suivait la première à 100 mètres, par deux compagnies et par les mitrailleuses lourdes.
A 200 mètres en arrière, suivaient les minenwerfer. La compagnie avait deux sections en première ligne et deux sections en soutien.
Un semblable dispositif, renouvelé des anciens, présentait, par division, de 15 à 20 hommes en profondeur et jusqu'à 40 hommes lorsque, dans la masse d'attaque, deux divisions se suivaient, ce qui était à peu près général.

La première vague devait foncer, tête baissée, sur son objectif, sans se soucier des pertes, franchir la position ennemie et aller s'installer au-delà, en négligeant les éléments de la défense qui pouvaient résister encore et que des troupes spéciales, munies de grenades, de couteaux et de lance-flammes, avaient mission de réduire.
Arrêtée au-delà de l'obstacle, la première vague devait exécuter des feux très violents, jusqu'à l'extrême limite de la portée des armes, pour inonder d'une pluie de balles le terrain en arrière, et rendre impossible l'arrivée des réserves de l'ennemi.

A la faveur de ce barrage, la deuxième vague devait progresser, dépasser la première et aller s'installer au delà pour continuer le feu et permettre de la même manière la progression de la troisième vague... et de même ainsi jusqu'à la dernière... Si l'on songe que ces vagues qui chevauchaient ainsi les unes sur les autres appartenaient à des compagnies, à des bataillons, à des régiments, et même à des divisions et à des Corps d'Armées différents, qu'elles cheminaient en dépit du feu de l'ennemi, parmi les réseaux de fils de fer et les obstacles accumulés, on peut juger du désordre.
Aussi peut-on penser qu'une complète remise en main des 64 divisions engagées ce jour là s'imposait, et on comprend pourquoi l'offensive dut s'arrêter momentanément le 21 mars, au soir.

Le 22 mars, au matin
La course reprenait dans un brouillard épais, en présence de l'Empereur, appelé en toute hâte pour assister à la victoire.
Cette fois, au nord, l'Armée de Byng cédait sous une formidable pression et abandonnait les hauteurs de Croisilles à l'Armée de Below, tandis qu'au sud, Marwitz, faisant effort sur la gauche de Gough, enlevait Epehy, Roisel, Vermand et les deux premières positions anglaises jusqu'a l' Omignon.
Au sud de ce ruisseau, Hutier, précédé par une nappe de gaz, pénétrait dans les troisièmes positions de la 5e Armée britannique, prenait pied sur la rive ouest du canal de Crozat, forçait le passage de l'Oise à l'ouest de La Fère et se rendait maître de Tergnier.
Menacé d'être débordé, Byng évacue alors ses premières positions qui résistaient toujours en face de Marcoing, et Gouhg, dont toutes les réserves ont déjà été engagées, prend ses dispositions pour se retirer derrière la ligne de la Somme et du canal du Nord.
Cependant, le général Pellé est déjà arrivé a Noyon. Ses divisions sont en mouvement, mais ne peuvent être encore là; et, en les attendant, la 125e division doit étendre sa gauche vers l'ouest pour étayer vers Chauny la 58e division britannique qui recule toujours, écrasée sous le nombre des assaillants, ainsi d'ailleurs que les autres divisions de l'Armée Gough.
L'intervention des réserves britanniques (20e division et 2 division de cavalerie) a permis tout au plus de marquer un temps d'arrêt sur le canal de Crozat. C'est une mission d'entier sacrifice que nos 76e, 131e, et 113e régiments d'infanterie accomplissent avec abnégation.
A Paris, la situation est encore envisagée, ce jour-là, avec assez de calme.
Mr Clemenceau consulte le général Foch, chef d'État-major de l'Armée, et ce dernier estime que la ténacité dans la résistance et l'activité dans la manœuvre peuvent fort bien triompher de l'effort allemand. Selon lui, de nombreux obstacles : la Somme, le canal de Crozat, barrent encore la route à l'assaillant et couvrent les points vitaux à conserver; et on peut tout attendre de la ténacité britannique.

Mais le 23 mars
La situation s'aggrave. L'Armée Gough, exécutant les ordres de la veille, se replie en bon ordre, sans attendre  l'attaque qui se déclenche d'ailleurs dans la matinée.
Pétain est au Grand Quartier Général britannique. Haig incline à se retirer vers les ports de la manche. Le Général en chef français insiste avec force pour que la liaison ne soit pas rompue :
« Si vous ne prenez pas la main que je vous tends, lui dit-il, tout est perdu. j'ai le bras long, mais je ne peux tout de même pas l'allonger indéfiniment...»
Les escadrilles françaises sont là. Elles retardent l'ennemi qui marche déjà vers Ham, maître de toute la rive gauche de la Somme, en aval de cette ville.
La 3e Armée britannique a dû s'aligner sur la 5e pour éviter d'être débordée; mais les régiments de Byng, dont le moral reste excellent, s'arrêtent assez vite et contiennent l'Armée de Bellow devant Bapaume.
En revanche, sur le canal de Crozat, les deux divisions britanniques, qui avaient faibli hier, se replient maintenant vers l'ouest, décimées, sans même songer à demeurer en liaison avec la 6e Armée française.
Une dangereuse brèche s'ouvre à l'endroit de la soudure franco-britannique.
Si Hutier fonce comme il sait le faire, le désastre sera irréparable ce soir mais voici les trois divisions de Pellé ; Humbert est avec elles;il les anime de son ardeur, et, au fur et à mesure de leur débarquement, il les envoie au combat avec l'ordre formel de se sacrifier et de tenir à tout prix.
Pelle lance la division Gamelin vers Ham, les divisions Valdant et de Rascas, appuyées par la division Mangin qui vient de rejoindre le 5e Corps, vers le canal de Crozat.
Ces divisions rencontrent en route les deux divisions britanniques harassées qui se retiraient du feu. L'artillerie n'est pas au complet; les coffres sont à moitié vides; Les hommes sont fatigués de leur voyage.
Avec un admirable esprit de sacrifice, les compagnies parfois isolées des 4e, 82e, 329e, 46e, 31e, 89e, 76e, 131,113e d'infanterie ; des 4e, 9e et 11e cuirassiers à pied, jusqu'à un bataillon du 65e régiment territorial, se lancent au-devant des masses allemandes à la baïonnette.
La division Diébold chasse un moment de Tergnier l'ennemi surpris de trouver ici des capotes bleu horizon. Mais Ludendorff a mis en ligne de nouvelles divisions qui poussent les premières et passent devant elles.
La marée feldgrau submerge tout.
La 125e division (76e, 131e, et 113e régiments d'infanterie et 245e d’Artillerie), doit abandonner Tergnier. La lutte a pris un caractère d'acharnement inouï ;Et c'est seulement pied à pied que nos lignes trop minces reculent, infligeant  à l'ennemi des pertes énormes.
Elles ne peuvent nulle part se maintenir; le Haut Commandement allemand met un tel prix à ses succès qu'il paraît décidé à consentir tous les sacrifices pour donner à l'Empereur « Sa Victoire », et pour terminer la guerre.
Entre temps, presque toutes les nuits, des avions de bombardement survolaient Paris, et leurs bombes semaient la mort dans la capitale. L'ingéniosité allemande venait même de trouver un moyen infernal de frapper l'imagination et d'atteindre le moral de la France, tout en donnant au monde une haute idée de la puissance germanique.

Le 23 mars, une pièce à longue portée, cachée dans la forêt de Pinon, faisait pleuvoir, à une distance de 120 kilomètres, des obus monstres sur Paris.
Des maisons furent éventrées ; des femmes, des vieillards, des infirmes, des malades, des enfants tombèrent, fauchés par la mitraille, tout comme les combattants des tranchées.
Cette guerre à l'allemande n'eut pas d'autre effet que de soulever la réprobation du monde civilisé.
Au demeurant, l'âme de la capitale et celle de la France ne furent aucunement ébranlées.
Cependant, la situation était grave.
D'Arras à La Fère, le front portait une plaie ouverte. Les Anglais reculaient maintenant sur près de 1 00 kilomètres; le canal de Crozat était forcé, ainsi que l'Oise, vers La Fère et la Somme, en amont de Ham. L'Armée Debeney, que Pétain avait appelée en toute hâte de Toul, arriverait-elle à temps pour appuyer l'Armée Humbert, avant que la retraite anglaise, nettement orientée vers l'ouest, n'eût ouvert à la gauche de nos Armées une brèche trop grande pour pouvoir être comblée?

Devant ce recul continu des forces britanniques, Pétain considère qu'une catastrophe peut surgir; et pour n'y être point englobé, il envisage la possibilité d'un repli de sa gauche vers le sud. Foch, lui-même, estime que la situation peut devenir critique d'un moment à l'autre; et, sur son conseil, M. Clemenceau, décidé pour sa part à terminer sa carrière dans Paris assiégé, pressent le Président de la République de la nécessité où le Gouvernement pourra se trouver de revenir, pour la troisième fois dans notre histoire, s'installer en province. Dans les couloirs du ministère il est question, non de Bordeaux qui est trop loin et qui rappelle trop des souvenirs de défaite, mais de Tours M. Poincaré refuse toute suggestion et déclare nettement qu'il ne quittera pas Paris.

Le 24 mars

Il faut encore reculer. Byng, dont les réserves sont désormais épuisées, lâche Combles et Bouchavesnes ; Gough abandonne la ligne de a Somme que Marwitz franchit derrière lui. Enfin, jetant sans compter ses divisions dans la fournaise, Hutier refoule lentement au delà de Chauny les héroïques divisions de Pellé, qui vendent chèrement leur vie.
Sentant qu'il va définitivement perdre pied, le Maréchal Haig appelle à l'aide.
Au Gouvernement britannique, il demande des renforts, montrant l'Armée Gough en déroute, le front percé, les unités décimées et en désordre se retirant comme elles peuvent et s'accrochant où elles peuvent, sans que le Commandement ait les moyens de ralentir par des troupes fraîches la poussée sans cesse alimentée de l'ennemi.
A Pétain, il demande l'appui d'au moins 20 divisions françaises !!
Or Pétain, qui a le devoir de couvrir non les ports de la manche, mais Paris, ne peut en aucune manière dégarnir davantage son front, déjà trop anémié. Il peut donner ses 1e et 3e Armées ; mais vraiment la prudence lui interdit d'aller au delà.

Le 25 mars

La tuerie continue ; et, des promenades de la capitale, les Parisiens peuvent, dans le silence du soir, entendre le grondement du canon qui se rapproche, scandé par les formidables explosions des obus de la « Bertha » perpétrant méthodiquement, par les rues paisibles, leur ignoble et lâche besogne d'assassinat.
Byng a perdu Bapaume ; Gough abandonne Nesle ; à travers les ruines fumantes de Guiscard et de Maucourt, les soldats de Pellé reculent pas à pas vers Noyon. mais, de ce côté, la défense du cours de l'Oise, depuis Noyon jusqu'à La Fère, s'organise déjà solidement.
Si Humbert qui, dans un magnifique ordre du jour, a rappelé à ses soldats qu'ils défendaient « le cœur de la France », doit encore, le 25 au soir, abandonner Noyon, il se déclare dès ce moment en mesure d'enrayer les progrès de l'ennemi vers Paris.
Pourtant Haig se replie décidément vers les ports de la manche, et Pétain doit pourvoir à la défense du large front qui se développe aujourd'hui de Noyon à Moreuil, et qui s'étendra peut-être encore demain.
Heureusement, le général Debeney installe, ce jour-là, le quartier général de la 1e Armée à Maignelay.
Avec les Armées Debeney et Humbert, le G.A.R. s'est constitué sous le feu.
Nos divisions débarquent en toute hâte. Devant le flot, qui bat déjà son pied, le mur français s'élève lentement. Or, à Paris, le général Foch, qui suit de près les opérations, a exposé leur philosophie au Président; du Conseil. Clairement, nettement, comme il le faisait jadis quand il professait à l'École de Guerre, il lui a montré du doigt le défaut de notre cuirasse.
Nous allons être battus parce que le maréchal Haig a la mission formelle de garder les ports de la manche et que le général Pétain a le devoir sacré de couvrir Paris.
La poursuite de ces deux objectifs divergents entraîne, devant la poussée de l'ennemi, une retraite divergente.
Fatalement donc, quelle que soit l'activité de nos réserves, tôt ou tard, une brèche se produira dans la région de Montdidier, par où les dernières réserves allemandes s'engouffreront et gagneront la victoire. Il est de toute nécessité d'unifier les points de vue français et britannique; et pour cela, il faut un coordinateur des efforts, un généralissime.
Sans perdre une minute, le Président de la République et M. Clemenceau se rendent, le 25 mars, auprès du général Pétain, au Grand Quartier Général français, à Compiègne. Une réunion générale doit avoir lieu le lendemain à Doullens, où se trouvent le ministre de la Guerre et le Généralissime britannique.
Il est convenu que la question vitale du Commandement unique y sera posée et résolue.

Le 26 mars
Nouveau recul. Byng a dû abandonner Albert, l'un des nœuds de communications les plus importants de la région, ainsi que Bray-sur-Somme ; Gough évacue Chaulnes en toute hâte et cherche à se raccrocher à Rosières.
Un vide de près de 50 kilomètres s'ouvre à la droite de Gough et à la gauche de Debeney, dans lequel déferlent les vagues sans cesse renouvelées de 40 divisions allemandes.
Sir Douglas est désemparé; il estime qu'il ne peut plus désormais faire autre chose que de tâcher de conserver les ports de la Manche; et, pour contenir la ruée allemande sur la Somme, il déclare que l'intervention de 30 divisions françaises lui est absolument indispensable.
Les Allemands sont à 15 kilomètres d'Amiens; et Amiens tombé, ou seulement tenu sous le feu de l'artillerie ennemie, c'est la rupture consommée entre les Armées françaises et britanniques, ce sont les Anglais rejetés vers la mer, c'est la France isolée.
Le rêve de Ludendorff se réalise dans l'écroulement virtuel de la puissance militaire de l'Entente.
Or, à cette suprême et tragique éventualité, l'esprit de sacrifice et l'admirable contenance des bataillons de Debeney, qui courent au combat sans artillerie, en descendant du train, ne sont pas un palliatif suffisant.
Leur héroïsme dispute désespérément aux masses de Hutier la région de Lassigny et la route directe de Paris; mais le flot, endigué de ce côté, se déchaîne vers l'ouest, où toute l'énergie de l'ennemi paraît se tendre vers la conquête d'Amiens.
Or, Amiens perdu, c'est encore la catastrophe.
Mais, ce jour-là, les Alliés ont accompli un acte décisif.
Une conférence a réuni à Doullens le Président de la République, M. Clemenceau et lord Milner, le maréchal Haig, les généraux Foch et Pétain; et, sur la proposition du maréchal Haig, appuyé par le ministre de la Guerre britannique, M. Clemenceau et lord Milner ont signé à 14 heures l'ordre suivant
Le général Foch est chargé par les Gouvernements britannique et français de coordonner l'action des Armées alliées sur le front occidental. Il s'entendra à cet effet avec les Généraux en chef, qui sont invités à lui fournir les renseignements nécessaires.
Ce n'est donc pas encore un généralissime qui vient d'être créé : c'est simplement un coordinateur de, effort, qui, tous, doivent tendre au même but.
Ici, Foch a tout de suite vu de quoi il s'agissait. Les Anglais se retiraient vers le nord-ouest, les Français vers le sud ; ils s'écartaient donc les uns des autres. Il s'agissait de rétablir d'abord, puis de maintenir, la soudure entre les Anglais et les Français. Il s'agissait, suivant sa pittoresque expression, de réunir par une chaîne les deux battants de la porte qui s'entre-baîllait.
L'Armée Gough est hors d'état de fournir un nouvel effort ; il faut la relever. Fayolle étendra insensiblement le secteur du G. A. R. (groupe d’armée de réserve) jusqu'à la Somme, et Haig gardera les approches d'Amiens, au nord du fleuve.
L'instruction à Fayolle est nette :
« La première mission du G. A. R. est de fermer aux Allemands la route de Paris et de couvrir Amiens. La direction d'Amiens sera couverte, au nord de la Somme, par les Armées britanniques aux ordres du maréchal Haig, qui tiendra à tout prix la ligne Bray-sur-Somme Albert; au sud de la Somme par le G. A. R. sous vos ordres, en maintenant la liaison avec les forces du maréchal Haig, à Bray, et avec le G. A. N. (groupe d’armée nord) (Franchey d'Espérey) sur l'Oise».
Ce rôle imposé au G. A. R. sera ardu, tant que les divisions de Debeney ne seront pas à pied d’œuvre. C'est souvent à la baïonnette qu'il faudra arrêter les colonnes d'assaut allemandes « Cramponnez-vous au terrain! » a dit Foch aux poilus... tenez ferme! Les camarades arrivent! »
Les camarades arrivent, en effet, mais bien lentement, malgré des prodiges d'activité. L'Alsace, la Lorraine, la Champagne sont loin !
En vain, Foch qui est tout de suite parti pour Dury, au quartier général de Gough, comme il était venu en 1914 à celui de French, place lui même les bataillons anglais sur les positions où ils doivent tenir encore quelques heures, en attendant les divisions françaises : Le 19e Corps britannique sur la ligne de La Neuville lès Bray- Rouvroy ; Le 18e sur la ligne Rouvroy-Guerbigny. Écrasés d'obus, submergés par le nombre, les Anglais reculent... reculent encore.

Le 27 mars

De Montdidier à Lassigny, le front français se cristallise enfin.
Après avoir, à droite, perdu Lassigny, Humbert tient ferme ; il prononce même de vigoureuses contre-attaques.
A sa gauche, Debeney, - dont l'Armée s'organise, à force d'énergie et d'ingéniosité, au gré des débarquements et de la poussée de l'ennemi, se soude à lui. ,- mais la gauche de Debeney est en l'air.
Le général n'a pas encore assez de monde pour tenir tout l'espace qui sépare Humbert de l'Armée anglaise ; et devant des offensives furieuses, il doit encore lâcher Dancourt, Marquivilliers, Tilloloy et Beuvraignes.
Il demande seulement à Fayolle que, pour camoufler le vide de 15 kilomètres qui sépare la 1e Armée française de la 5e Armée britannique, un groupement de fortune soit envoyé vers le Ployron, qui arrêtera au moins un raid de cavalerie.
De ce côté, le champ est libre, l'ennemi marche et il croit toucher au but.
Au nord de la Somme, Byng, qui a transporté son quartier général à Beauquesne, résiste victorieusement, enserrant par le nord la poche allemande qu'Humbert comprime énergiquement au sud. Entre ces deux musoirs, il y a une trentaine de kilomètres dans lesquels l'offensive allemande peut encore se développer, mais que, chez nous, on travaille activement à réduire.
Foch est partout : à Dury, où il réconforte Gough par son entrain et son optimisme ; à Clermont où il trouve Humbert aussi optimiste que lui-même ; chez sir Douglas Haig qui s'est décidé à remplacer Gough par Rawlinson à la tête de la 5e Armée, et à demander d'urgence en Angleterre un renfort de 75 000 hommes.
Le 18e Corps britannique est mis sous les ordres de Debeney, car il ne s'agit plus maintenant pour les Anglais de se retirer vers les ports, mais de tenir coûte que coûte ; et Debeney, arrêtant ces colonnes qui battaient gravement en retraite dans le plus grand ordre, les étayant avec les premières compagnies françaises qu'il a sous la main, constitue lentement, en marchant et en combattant, la barrière qui doit fermer la route d'Amiens.
Ce soir-là, l'ennemi est entré à Montdidier; il est à moins de 20 kilomètres de la voie ferrée de Paris à Amiens, que ses grosses pièces peuvent atteindre.
Si cette voie était rendue inutilisable, on peut dire que la rupture entre les Armées française et anglaise serait virtuellement consommée, car il serait à peu près impossible de faire parvenir des renforts français de quelque importance dans la partie nord du front britannique.

Le 28 mars
Les assauts les plus furieux de l'ennemi se brisent contre le front de Fayolle.
A droite, Humbert, solidement accroché au mont Renaud et au Plessier-de-Roye, maintient intégralement ses positions, et lance à son tour de furieuses contre-attaques vers Boulogne-la-Grasse et vers Orvillers-Sorel tenus par une partie de la 38 DI (4e zouaves et 8e tirailleurs)
A gauche, Debeney subit le choc de quatorze divisions allemandes et leur interdit le débouché de Montdidier.
Partout, à travers les marais de l'Avre, la résistance s'affirme et prend corps.
Ce jour-là, malgré des pertes énormes, von der Marwitz n'a réussi qu'à gagner une profondeur de terrain de 5 ou 6 kilomètres, en s'infiltrant par les deux rives de la Somme, tandis qu'une attaque de von Below, tentée avec dix divisions d'assaut, allait s'écraser contre le bastion de Vimy-en-Artois.
Foch a installé son quartier général à Beauvais, où se trouvent aussi le quartier général de Fayolle et un poste de commandement de Pétain. II a obtenu de Haig que le 18e Corps britannique soit provisoirement maintenu au sud de la Somme et que les unités anglaises ne soient plus relevées du combat qu'après complète usure.
Quant aux renforts français, ils sont poussés maintenant sur Moreuil où un dernier vide existe encore.
Ces renforts arrivent d'ailleurs lentement ; ils deviennent plus rares ; nos réserves s'épuisent...
Si l'ennemi a encore des disponibilités, il peut progresser... jusqu'à Amiens peut-être.
Sur les instances de Foch, le Gouvernement se décide à rappeler d'Italie la 10e Armée française, avec le général Maistre; mais en aucune manière il ne faut compter que les premiers éléments de cette armée puissent être sur l'Avre avant une dizaine de jours.
Le général Pershing assistait à la conférence au cours de laquelle le général Foch exposait sans détours à M. Clemenceau toute la gravité de la situation. Il fit un beau geste.
Les jeunes troupes américaines ne semblaient pas encore en état de figurer sur les champs de bataille; et, du reste, la convention franco - américaine ne prévoyait pas encore de longtemps leur engagement.

Devant l'angoisse de l'heure, le généralissime américain sollicita pour elles l'honneur de se battre immédiatement : « Le peuple américain, dit-il, sera fier d'être engagé dans la plus grande et la plus belle bataille de l'historie. Infanterie, aviation, tout ce que nous avons est à vous. »

Une division américaine est donc affectée à la Réserve Générale, et les trois autres prennent aussitôt dans le Groupe des Armées de l'est la place de divisions françaises qui vont servir à la constitution d'une nouvelle Réserve Générale.
Le général Micheler est rappelé de Champagne et vient installer son quartier général à Méru pour exercer, avec l'État-major de la 5e Armée, le commandement de ces forces.

Le 29 mars est aussi peu fructueuse pour l'ennemi que celle de la veille.
C'est vers Moreuil que les Allemands cherchent à gagner du terrain, au point de moindre, résistance de notre ligne ; mais ils paraissent décidément essoufflés, et c'est à peine s'ils gagnent un lambeau de terrain entre l'Avre et la Somme ; ils sont même nettement refoulés à Courtemanche.
L'Armée de Debeney commence à prendre une consistance sérieuse.

Le 30 mars, Hutier, qui a reçu des renforts, tente un effort suprême depuis la Somme jusqu'à l'Oise.
Il se heurte partout à une résistance acharnée.
Son artillerie lourde n'a pu entrer en ligne; elle est demeurée enlisée dans les mauvais chemins, défoncés depuis si longtemps par la guerre.
C'est à coups de divisions que le vainqueur de Riga veut essayer de percer.
Or, les soldats d'Humbert défendent avec un magnifique acharnement Plessis-de-Roye et Boulogne-la-Grasse.
C'est l'un des épisodes les plus tragiques et les plus glorieux de toute la guerre que la défense du parc de Plessis (régiment colonial du Maroc)
De son côté, Debeney résiste furieusement à Mesnil-Saint-Georges, à Grivesnes, et repousse jusqu'à cinq assauts.
Il perd Moreuil, mais l'ennemi nemi demeure impuissant à exploiter ce succès.
« Nos pertes sont restées dans la limite de la normale, disait le communiqué allemand du 28 mars .En certains points, où se livraient des combats particulièrement violents, elles ont été plus lourdes.... »

Mais les journaux du 29 et du 30 mars, tout en affirmant encore que les pertes ont été supportables, reconnaissent que la dernière tentative sur Amiens a exigé des efforts extraordinaires.
Or, ces demi-aveux sont largement corroborés par l'attitude et par les récits des nombreux prisonniers, qui sont tombés entre nos mains au cours de ces journées terribles. Aux 1e et 119e divisions, les compagnies sont tombées à 40 hommes.
La 45e division de réserve a perdu 40 % de ses effectifs; la 5e division 50 %; la 28e 75 %.
A la 234e division, un bataillon du 452e régiment d'infanterie a été complètement détruit; à la 4e division, un bataillon du 140e d'infanterie a été réduit, dès le 21 mars, à 3 officiers et 94 soldats.

En définitive, le 31 mars, quand la bataille s'éteint sur un dernier assaut à peu près infructueux, l'armée allemande a engagé 87 divisions qui sont toutes plus ou moins mal en point; et si la poche creusée dans notre front mesure les dimensions considérables de 80 kilomètres en largeur et 65 en profondeur, son objectif : la rupture du front franco-britannique par la prise d'Amiens, ou tout au moins par l'interdiction de la voie ferrée Paris à Amiens, n'a pas été atteint.
L'espoir nourri avait été grand, cependant. Au début, les journaux avaient désigné la bataille qui commençait, du nom de « Bataille de l'Empereur ».
Puis, on lut des communiqués flamboyants.
Celui du 24 mars parlait de la victoire de Monchy Cambrai Saint-Quentin, mettant déjà au tableau des captures : 30000 prisonniers et 600 canons... Les radios, répandus par Nauen dans le monde entier, ne tarissaient pas de détails sur les moindres incidents de la débâcle franco-britannique.
On juge avec quelle ardeur la presse faisait chorus devant un pareil déchaînement de l'enthousiasme officiel. « Il est très possible, disait la Gazelle de Francfort du 29 mars, que la décision intervienne au cours de la deuxième semaine de la bataille..
Pourtant, l'opinion se réserve ; elle demeure inquiète de ne pas voir les affaires se précipiter, et elle voudrait être renseignée sur «l'Armée de réserve de Foch ».

Le 30 mars, le colonel Goedke avance l'opinion que cette Armée doit être à pied d’œuvre, et pour clore le débat d'une manière honorable, le général von Ardenne explique, le 1e avril, aux lecteurs du Berliner Tageblall, que les 30 et 31 mars, cinquante divisions de l'Armée Foch se sont vainement ruées sur le front Montdidier-Noyon, et qu'elles sont bien hors d'état de renouveler de semblables efforts.

En attendant, il faut remplacer par des divisions fraîches les divisions qui ont combattu, combler les vides par des jeunes gens de la classe 1920, et raffermir par des récompenses multiples, en particulier par une pluie de croix de fer, le moral des soldats un peu ébranlé par ces tueries que la grandiloquence des communiqués, des radios et des journaux sont impuissants à leur faire considérer comme de brillantes victoires.

Quant à Foch, il n'a pas attendu le dernier flux du « flot expirant sur la grève » pour assurer ses positions.
Dès le 30 mars, il a donné aux Généraux en chef une direction qui précise sa pensée et pose nettement le problème.
« Il faut arrêter avant tout l'ennemi, en maintenant une liaison étroite entre les Armées britanniques et françaises
« 1e Par le maintien et l'organisation d'un front défensif solide sur les positions actuellement tenues;
« 2e Par la constitution de fortes réserves de manœuvre destinées à répondre à l'attaque ennemie ou à prendre l'offensive : au nord d'Amiens par les forces anglaises; au nord et au nord-est de Beauvais par les forces françaises. Pour constituer cette masse de manœuvre aussi rapidement et aussi fortement que possible, prélever résolument sur les fronts non attaqués. »

En somme, en dépit d'un gain de terrain supérieur à tous ceux qui avaient pu être réalisés au cours de la guerre de tranchées, l'entreprise de Ludendorff, qui visait à la rupture stratégique du front occidental, avait échoué.
Elle avait échoué parce que le général allemand n'avait pas su proportionner le but à atteindre aux moyens dont il disposait.

Si, au lieu de foncer vers Saint Quentin, il eût foncé de Lille vers la mer, avec les mêmes moyens, sa victoire eût été probable.
La progression de 60 kilomètres qui le conduisit à Montdidier l'eût conduit aux portes d'Abbeville; le front anglo-français était alors coupé en deux; l'Armée belge, les 1e et 2 Armées britanniques, rejetées vers la mer, étaient acculées à une capitulation; le reste de l'Armée britannique, conformément aux errements suivis le 21 mars, se repliait précipitamment vers les ports de Normandie, et le résultat cherché à Saint Quentin était obtenu à bien moins de frais.

 
Offensive allemande sur la Somme (du 31 mars au 7 avril 1918)
 

Y étaient :

 
 

Le 31 mars, dimanche de Pâques, a encore vu se produire quelques attaques locales, derniers soubresauts de la bataille finie.
L'ennemi a essayé de pousser dans le fond de la poche, depuis la Somme jusqu'à Lassigny. Il l'a fait d'une manière assez incohérente ; et de ses efforts sont résultés une série de combats confus dont quelques-uns n'ont pas laissé d'être très violents. Entrés dans Grivesnes, les Allemands en ont été chassés. Entrés dans Hangard, ils n'ont pas pu s'y maintenir davantage.
Le front est élastique maintenant; toute attaque entraîne une réaction, et cette réaction coûte toujours à l'ennemi des pertes graves ; il laisse entre nos mains des prisonniers et du matériel.

Le 1 avril, c'est vers Rollot, au sud-est de Montdidier, qu'il tenté un coup demain; le résultat est négatif.

Le 2 avril, démonstration sur un front de 20 kilomètres, dans la région d'Albert.

Le 4 avril, violents assauts, sur un front de 15 kilomètres, depuis Cantigny jusqu'à Hangard.
Il s'agit encore d'atteindre la voie ferrée Paris Amiens, et l'ennemi lance dans cette opération 15 divisions, dont 7 divisions fraîches. Ce sont là des troupes d'élite, et le choc est rude sur cette dernière partie, le plus récemment soudée de notre ligne.
Mailly-Raineval, Morisel, Castel, le bois de l'Arrière Cour sont  enlevés par les Allemands, tandis que dans la région de Villers-Bretonneux, entre l'Avre et la Somme, 10 divisions refoulent Rawlinson de Marcelcave et de Hamel.

Dès le 5 avril
, ce gros effort est enrayé après une lutte très vive, notamment à Bucquoy, Hangard et au bois de Sénécat (68e, 90e, 335e RI). L'ennemi n'a atteint aucun des objectifs qu'il s'était assignés, et vingt-cinq de ses meilleures divisions ont été sérieusement éprouvées.

Le 6 avril, les Allemands s'acharnent contre la partie dé notre front qui, le long de l'Oise, de Manicamp à Tergnier, et à travers la forêt de Saint-Gobain jusqu'à Anizy-le-Château, forme un saillant très prononcé et fort difficile à défendre.
Le terrain y est tellement couvert et marécageux que l'intervention des renforts est impossible.
Nos troupes évacuent donc ces positions sous la pression de l'ennemi; et en quatre jours, les 6, 7, 8, 9, elles reculeront volontairement d'une dizaine de kilomètres, pour venir s'établir derrière l'Ailette, sur d'excellentes positions préparées d'avance. Notre front ainsi rectifié est désormais en ligne droite de ce côté ; il pourra braver les plus terribles assauts.

Le 7 avril, Foch installe son quartier général à Sarcus, petit village perdu de la Picardie.

Devant l'essoufflement visible de l'ennemi, et en raison de l'arrivée, lente peut-être, mais, régulière de nos renforts, Foch, dès le 3 avril, a envisagé la possibilité d'une offensive; et à cette offensive il voudrait donner comme objectif le dégagement de la voie ferrée de Paris à Amiens.
Fayolle doit attaquer dans la région de Montdidier, et Rawlinson à cheval sur la Somme, entre la Luce et l'Ancre. On sait bien que l'ennemi envoie ses réserves dans le Nord, ce qui semblerait indiquer de sa part des velléités d'offensive dé ce côté; mais une attaque sur la Somme n'est-elle pas encore la meilleure parade à un choc dans le Nord, choc qu'il est d'ailleurs impossible d'éviter et pour lequel l'ennemi sera toujours en situation d'obtenir une supériorité décisive ?

Malheureusement, Ludendorff jouit encore de l'avantage que lui donnent à la fois l'écrasante supériorité de ses moyens et sa position centrale.
Il est prêt avant les Alliés.
Ne pouvant atteindre ni Paris ni Amiens, il s'est résigné à des buts plus modestes : c'est Calais qu'il va prendre maintenant comme objectif. Est-il aujourd'hui mieux en mesure d'atteindre Calais qu'il l'était d'atteindre Amiens le mois précédent ?
Les événements vont répondre à cette question et remettre en lumière la même faute qui va se renouveler ; l'esprit du Quartier rmaître Général allemand évolue avec la situation, mais décidément il évolue toujours plus lentement qu'elle.

 
Offensive allemande dans le Nord Pas-de-Calais - La Lys (du 9 avril au 18 avril 1918)
 

Y étaient :

  • Joseph CHAILAN de Varages (71ème RAL), est tué le 11 avril 1918 dans la forêt de l'Aigle, au nord-ouest de Montmacq (Oise).
  • Aimé ARISTOTE de Vinon (203ème RI), est tué le 12 avril 1918 à Mailly-Raineval (Somme).
  • Louis BARTHELEMY de Saint-Zacharie (165ème RI), est tué le 12 avril 1918 à Hangard-en-Santerre (Somme).
  • Lucien GASSIER de Bras (134ème RI), est tué le 13 avril 1918 à Orvillers (Oise).
  • André MAZZUCCO de Seillons (331ème RI), est tué le 18 avril 1918 à Castel-Mailly (Somme).
 
 

Le 9 avril, au petit jour, l'artillerie allemande couvre de projectiles et ensevelit sous une épaisse nappe de gaz toxiques le front de la 1e Armée britannique, entre la Lys et le canal de la Bassée.
A 6 heures du matin, à la faveur du brouillard, les neuf divisions de l'Armée Von Quast se ruent en masses profondes sur ce front de 15 kilomètres, suivant la méthode du 21 mars.
Le maréchal Haig avait beaucoup compté pour la défense de cette partie de sa ligne, sur la nature marécageuse du sol; et là se trouvaient, avec deux divisions portugaises fatiguées, qui devaient êtres relevées le lendemain, deux divisions britanniques (la 4e et la 55e) éprouvées sur la Somme et mises au repos dans ce secteur calme. Les circonstances favorisaient donc l'ennemi.
Dès le premier choc, les Portugais sont bousculés; et, sans arrêt, les Allemands font irruption dans les deuxièmes lignes où les troupes de la défense n'ont même pas eu le temps de s'installer.
Neuve-Chapelle, Fauquiscart, la ferme de la Cordonnerie sont enlevés, et le front est balayé.
Richebourg-l'Avoué, Bois-Grenier, Laventie tombent.
Malgré une résistance sérieuse aux HuitMaisons et à Vieille-Chapelle, résistance qui donne le temps à deux divisions fraîches de venir prendre position derrière la Lawe, les Alliés sont rejetés au delà de cette rivière. Même au sud d'Armentières le passage de la Lys est forcé au Bac Saint-Maur, et les progrès de l'ennemi qui paraissent déjà nettement enrayés au sud, dans la région de Givenchy, pouvaient dès lors se développer vers le Nord.
Haig prend peur. Il s'empresse d'avertir Foch qu'il renonce à toute participation à l'offensive projetée sur la Somme, ses disponibilités devant être absorbées, et au-delà, par la défense de son propre front.

Le 10 avril, l'ennemi franchit largement la Lys et entre à Estaires, ce qui nécessite, d'une part l'évacuation d'Armentières et le recul d'une partie du front de l'Armée Plumer, d'autre part l'abandon d'une position de la rive gauche de la Lawe.
Le soir, le nouveau front est au delà de Messines, de Ploegstaert, de Nieppe, d'Estaires ; il s'accroche encore aux ruines de Vieille-Chapelle. Le saillant d'Ypres est sérieusement menacé.
Malgré. l'incontestable gravité de cette situation, malgré les appels de Haig qui voudrait voir l'Armée française prendre à son compte une partie du front britannique, Foch ne s'émeut pas.
Pour lui, une offensive sur la Somme demeure le meilleur moyen d'enrayer tout progrès allemand vers Calais, de même qu'à une autre époque une opération toute semblable fut le dérivatif qui sauva Verdun.
Il prescrit donc à Pétain de pousser de son mieux la préparation de cette offensive, il refuse à Haig l'extension du front demandée, extension qui n'aboutirait qu'au gaspillage des réservés françaises et à la perte d'un temps précieux; mais, pour parer à toute éventualité, il place l'Armée Maistre dans la région de Picquigny et il fait remonter l'Armée Micheler vers Breteuil.

Le 11 avril est encore une mauvaise journée. La lutte fait rage sur tout le front d'Ypres à La Bassée; et, malgré la ténacité des Anglais, l'ennemi gagne du terrain.
Un vide inquiétant se creuse, surtout au sud du saillant d'Ypres, et le sort du dernier lambeau de territoire belge, demeuré inviolé jusque-là, est mis en question.
Depuis Festubert jusqu'à Messines, les assauts les plus violents se multiplient.
Sentant la résistance faiblir, Ludendorff paraît disposé à transformer cette offensive modeste en une opération de grande envergure, et il lance toute ses divisions disponibles dans la fournaise.
Merville est enlevé et, un moment, on peut craindre que, vers Steenwerk, la route d'Armentières à Cassel par Bailleul ne soit forcée ; l'arrivée d'un détachement de fortune, constitué en grande hâte, arrête les colonnes ennemies et rétablit la situation compromise.
Cependant Foch, qui suit avec attention les péripéties de la lutte, se rend bien compte qu'il ne peut déclencher sans danger une offensive sur la Somme que lorsque le front anglais sera définitivement fixé. Haig continuant à demander du secours, il se décide à lui en envoyer.

Le 12 avril, tandis que les Allemands, essoufflés par les combats de la veille, sont maintenus devant Bailleul par la 1e Armée britannique, le 2 Corps de cavalerie français du général Robillot arrive dans la région de Hazebrouck.
La 28e et la 133e divisions se portent aussi au secours de l'Armée Plumer, en faveur de laquelle Foch sollicite du roi Albert l'appui des réserves belges; et, comme au temps de l'Yser, le général Peauffin de Saint-More gouverneur de Dunkerque, reçoit l'ordre d'inonder le pays.
Cette journée du 12 se termine par un joli succès, une contre-attaque britannique ayant enlevé la redoute de Route, près de Festubert.

Le 13 avril, l'ennemi fournit encore de furieux assauts en direction de Bailleul et menace la ligne des monts : mont Kemmel, mont Noir, mont des Cats, splendides observatoires qui dominent toute cette région plate, et dont la possession assure un avantage considérable à celui des deux adversaires qui les occupe.
Mais les divisions de Maistre se sont déjà infiltrées jusqu'à Doullens, malgré le faible rendement de l'unique voie de rocade dont on dispose.
Ces forces n'ont pas pour mission de s'engager en première ligne, car il faut économiser les réserves ; elles doivent s'installer sur l'Authie, et contre-attaquer l'ennemi si celui-ci réussissait à forcer les positions britanniques.
Cependant, si les Anglais reculent, ils font, sous l'énergique impulsion du vieux Plumer, payer fort cher à l'ennemi le terrain qu'ils lui abandonnent.
Le soir, après l'évacuation de Steenwerk et de Vieux-Berquin, la lutte paraît se stabiliser devant Bailleul, où nos Alliés repoussent les plus furieux assauts.
La progression de Von Quast pourtant été assez sensible pour que les défenseurs d'Ypres soient en danger.
Bailleul est presque sur leurs derrières, et le bruit du combat qui s'y livre peut affecter leur moral.
En outre, si Hazebrouck tombait, et cette ville est déjà sous le canon de l'ennemi, leur retraite serait irrémédiablement compromise.
Une rectification du front s'impose donc de ce côté, et la ligne anglaise va se rapprocher d'Ypres pour venir s'installer progressivement sur les solides positions de Gheluwelt, Paschendaele, Langhemarck.
Ce mouvement sera terminé le 16 avril. Recul qui, aux yeux de Foch, ne présente aucun inconvénient, bien que le général soit en principe adversaire résolu de toute évacuation volontaire de terrain.
Car, sur ce théâtre, il n'a en vue que deux nécessités : conserver à tout prix la ligne des monts et couvrir la région des mines dont la conservation est de toute première importance pour la continuation de la guerre.

Le 14 avril, la bataille continue, très violente.
Les Allemands s'acharnent; les Anglais, avec leur ténacité proverbiale, résistent à un contre deux ou trois. Ils ne perdent qu'un peu de terrain Neuve-Église et Méteren, qui coûtent cher à l'ennemi, et ils reculent jusqu'aux lisières de Locon.
Mais devant la continuité de ces efforts, Haig qui voit ses dernières réserves fondre dans la fournaise, est mortellement inquiet.
Encore une fois, il demande à Foch de réduire le front britannique par une extension du front français. Il déclare que si cette solution ne pouvait être adoptée, il serait décidé à obtenir la réduction nécessaire en abandonnant tout le saillant d'Ypres.
Il demande tout au moins un renfort puissant de divisions françaises, qui lui permette de retirer du feu quelques divisions britanniques par trop épuisées.
Foch à qui, ce jour-là, la confiance des Gouvernements de l'Entente, vient de confier le Commandement en chef des Armées alliées, ne croit devoir accepter aucune de ces propositions.
L'abandon du saillant d'Ypres?
Non. Aucun abandon volontaire de terrain ne peut plus être consenti. On peut, on doit tout garder
La réduction du front britannique?
Non. Pour lui, l'affaire de la Lys n'est qu'une puissante diversion, et il faut s'attendre à un formidable effort ennemi sur un autre point du front français.
Ce front, déjà trop étendu pour nos effectifs, doit être en mesure de résister à toute surprise, et il ne le serait plus si la densité moyenne des combattants y devenait inférieure à un homme par mètre courant.
Donc, puisque des réserves françaises doivent être envoyées au secours du front britannique, ces réserves demeureront disponibles derrière le front, pour pouvoir être immédiatement retirées si le besoin s'en faisait sentir ailleurs, et elles ne seront englobées dans les combats qu'en cas de nécessité absolue.

Le 15 avril, la poussée allemande continue, et Bailleul tombe. Haig réclame l'appui immédiat de quatre divisions françaises.

Le 16 avril est encore une dure journée.
De Wytschaete à Merville, sur un front de 15 kilomètres, l'ennemi attaque avec acharnement, et la lutte se poursuit, ardente, dans le brouillard, avec des alternatives diverses. Méteren, Zillebeke, Wytschaete sont perdus, repris et reperdus par nos Alliés, qui ne reculent que lentement devant le flot.
Cependant, si le maréchal Haig est impressionné par l'extrême violence du combat, Foch, qui erre de quartier général en quartier général, affecte une parfaite sérénité d'âme.
Certes, il n'a garde de méconnaître le sérieux des événements; mais l'ennemi s'est maintenant enfoncé dans une poche d'une vingtaine de kilomètres de largeur, où il est à l'étroit et d'où il aura grand mal à sortir. Il y est dominé de partout par les nouvelles positions britanniques : le mont Kemmel, le mont Rouge, le mont Noir, le mont des Cats, le massif de la forêt de Nieppe; et sur le terrain plat oh il se trouve, pas un de ses mouvements n'échappe aux observateurs et aux obus de nos
Alliés. La lutte s'arrêtera donc ici, tôt ou tard ; il faut seulement que Haig résiste le plus longtemps possible avec ses seules forces, car le danger sera ailleurs demain, et l'on doit être prêt à y faire face.
En attendant, Foch crée un Détachement d'Armée, dont le commandement sera confié au général de Mitry qui groupera, sous le haut commandement du général Plumer, commandant la 2 Armée britannique, toutes les forces françaises déjà transportées au nord de la Lys : le Corps de cavalerie Robillot et quatre divisions d'infanterie. Le général Maistre, commandant la 10e Armée française, appuiera en cas de besoin le Détachement de Mitry et le renforcera même, jusqu'à le porter à un effectif de dix divisions.
Le roi des Belges, sollicité par Foch, consent de son côté à étendre son front; et, de ce fait, Haig va pouvoir récupérer sept divisions britanniques.

Le 17 avril, l'ennemi attaque le mont Kemmel et est repoussé avec de lourdes pertes.
La 129e division française, transportée en automobile, est à pied d'oeuvre, prête à contre-attaquer si la ligne cédait...

Le 18 avril, Ludendorff ne peut enregistrer pour tout succès que le dernier recul volontaire de la ligne britannique, qui s'installe de Gheluwelt à Langhemark, à l'est du saillant d'Ypres.
Un violent effort, tenté entre Givenchy et la Lys avec deux divisions contre le front de la 1e Armée britannique, est demeuré infructueux; au prix de sacrifices énormes, les Allemands n'ont réussi qu'à refouler les avant-postes britanniques derrière le canal de la Bassée, entre Locon et le bois Pacaud.
Puis, la bataille s'éteint de ce côté, parce que les assaillants sont à bout de souffle.
En réalité, Ludendorff commence à être fort inquiet. Voici qu'après s'être stabilisé vers Amiens, le front se stabilise aussi sur la Lys. Bien mieux, l'Armée Debeney a déjà attaqué à son tour...
A l'ouest de Moreuil, du bois Sénécat et du bois de l'Arrière-Cour, les lignes allemandes sont à moins de 3 kilomètres de la voie ferrée Paris Amiens; et Foch, dont les circonstances ont voulu que les réserves affluent de ce côté, ne songe nullement à s'accommoder d'un voisinage aussi immédiat qui gêne ses communications avec l'Armée britannique.

Donc, le 18 avril, a 4h30 du matin, sans qu'aucun indice eût pu faire prévoir à l'ennemi ce brusque réveil d'activité. Debeney a déclenché une vigoureuse offensive (cinq régiments de cavalerie) depuis Thennes jusqu'à Rouvrel, sur un front de 8 kilomètres, à cheval sur l'Avre.
D'un magnifique élan, la cote 63 et le bois Sénécat ont été enlevés, et nos troupes sont parvenues jusqu'aux lisières de Castel et de Mailly-Raineval. Près de 700 prisonniers sont tombés entre nos mains.
La presse allemande, a l'affût de victoires sur le front occidental, se garda bien d'enregistrer ce désagréable événement. En vérité, elle commençait à douter du résultat définitif de la brillante affaire de la Lys, sur lequel elle avait compté pour rallumer les espérances de l'opinion publique fatiguée.
A l'entendre, le 31 mars, ce n'était pas le dernier assaut allemand qui était venu se briser, encore loin d'Amiens, devant un front désormais inviolable ; c'étaient les braves soldats de Ludendorff qui avalent résisté victorieusement à tous les efforts de la mystérieuse « Armée de Foch ».
Enfin, l'arrêt demeurant décidément trop long et paraissant devoir se prolonger plus que de raison, certains organes finissent par reconnaître que si vingt-cinq divisions n'ont pu percer malgré l'indiscutable habileté du Haut-Commandement et l'incomparable valeur des troupes, si même les progrès réalisés ont été médiocres, c'est que les circonstances atmosphériques se sont coalisées contre les assaillants.

Le temps a été constamment mauvais; la boue empêchait tout déplacement de l'artillerie et enlisait les voitures, rendant même la marche de l'infanterie extraordinairement pénible ; l'ennemi se défendait vaillamment, même par endroits... Il convenait donc d'attendre a fin des opérations avant de porter un jugement quelconque, et même de chercher à se faire une opinion sur les événements.
Malgré tout, l'esprit public devenait exagérément nerveux en Allemagne. Il y eut une grosse émotion, presque une panique, aux premiers jours d'avril, dans les pays rhénans.
On y parlait d'un recul de l'Armée du Kronprinz, de la perte de tous les gains réalisés depuis le 21 mars, de celle de plus de 40000 prisonniers allemands. Il fallut « réconforter » tous ces pusillanimes par des nouvelles fantaisistes dont le thème principal, aux variations infinies, était la démoralisation complète et la définitive impuissance de la France. Comme ces nouvelles laissaient encore sceptiques quelques esprits forts, Hindenburg daigna même descendre de sa tour d'ivoire et prononcer quelques paroles d'encouragement
La victoire sera d'autant plus complète, proclamait-il dans un télégramme à qui fut fait la plus grande publicité, que tout notre pays se serrera avec plus de résolution et de confiance derrière nos soldats, et se montrera plus prêt à supporter les grandes et les petites épreuves qu'entraînera -pour une courte période de temps, espérons-le la poursuite de la guerre.

Réconfort certes, mais réconfort bien monacal pour des gens qu'éblouissait le mirage de Paris et qui se savaient depuis si longtemps aux portes de Compiègne l
Il fallait mieux.
A partir du 15 avril, on commença à expliquer en Allemagne que toute inquiétude pour la suite des opérations devait maintenant disparaître l'Armée Foch réduite tout au plus, par les récents combats, à une dizaine de divisions, était complètement épuisée et incapable d'un nouvel effort; Foch n'avait plus d'autre ressource, s'il voulait couvrir Paris, que d'abandonner Amiens..


 
Offensive allemande vers Amiens (du 19 avril au 24 avril 1918)
 

Y étaient :

 
 

Mais tout cela, ce sont des paroles. Or, l'opinion allemande, qui sait le prix du temps, et qui voit avec désespoir les opérations s'enliser et stagner de nouveau, demande des victoires éclatantes et rapides.
Il y a encore 42 divisions en réserve : on va tenter un effort. Ce sera une suite aux efforts précédents, puissante mais un peu incohérente, sans idée nouvelle, dont le but semble être de tâter encore une fois la solidité du mur qui achève de s'édifier en travers des routes d'Ypres et d'Amiens. Peut-être ce mur cédera-t-il quelque part, procurant au moins un succès qui permettra de jeter en aliment à la presse quelque nom retentissant.

Dans la nuit du 19 au 20 avril, un coup de main est tenté sur Hangard. Mais les nôtres veillent; c'est une tuerie qui n'aboutit à aucun résultat.

Dans la nuit du 23 au 24 avril, un bombardement de six heures prépare l'attaque d'une vingtaine de divisions, qui se déclenche le 24, à 5 heures du matin, entre Villers-Bretonneux et le bois Sénécat, encore à la soudure franco-britannique.
Rawlinson perd Villers-Bretonneux et est refoulé du bois de Hangard jusqu'aux lisières de Cachy.
Au sud de la Luce, Debeney est refoulé de quelques centaines de mètres jusqu'aux abords d'Hailles, mais il conserve ses positions du bois Sénécat. C'est surtout sur Hangard que l'ennemi a concentré ses efforts.
A midi, il s'emparait du cimetière ; à 15 heures, il entourait la localité, mais il ne réussissait à en chasser nos troupes (3e, 14e, 41e régiment d’infanterie) qu'à 18 heures, après de multiples assauts et au prix d'effroyables pertes. Une contre-attaque y ramenait encore nos soldats dans la nuit; et seule, l'intervention de divisions fraîches obligea enfin le général Debeney à replier sa ligne à 150 mètres à l'ouest de ces ruines.
Cependant Foch a renforcé cette partie du front et donné l'ordre de reprendre Villers-Bretonneux, (50e et 55e régiment d’artillerie) magnifique observatoire qui marque le point culminant du plateau descendant entre Somme et Avre en pente douce vers Amiens.

Donc, le 25 avril, les Australiens chassent l'ennemi de Villers-Bretonneux, lui enlevant 600 prisonniers.

Le 26 avril, à 5 heures du matin, la Division marocaine prend pour objectif le Monument, au sud de Villers-Bretonneux, et la corne nord du bois de Hangard ; d'autres éléments attaquent le bois de Hangard; la 131e division française marche contre le village de Hangard et contre la coté 99.
Ni les formidables barrages d'artillerie lourde et de mitrailleuses, ni l'âpre résistance d'un ennemi très nombreux n'arrêtent l'élan de nos troupes.
Le soir, le Monument est enlevé ainsi que le village de Hangard dans lequel la ligne, se fixe, et la moitié du bois.
A 19 heures, une violente attaque allemande était encore brisée à Thennes.

En somme, le plus clair des avantages réalisés par la grande offensive allemande du 24 était annihilé.

A peine une centaine de mètres carrés d'un terrain bouleversé, qui ne contenait aucune position intéressante, étaient le seul gain d'un ennemi qui avait fatigué et fortement endommagé dans cette affaire 15 nouvelles divisions.

 
Offensive allemande vers Ypres - Le mont Kemmel (du 25 avril au 25 mai 1918)
 

Y étaient :

  • Léon GASSIER de Seillons (413ème RI) est tué 25 avril 1918 à Locre-Danoutre (Belgique).
  • Bertin SIGAUDY de La Verdière (414ème RI), est tué le 29 avril 1918 à Locre (Belgique).
 
 

En même temps, les Allemands avaient poussé vers le nord, entre Bailleul et Ypres ; mais cette manoeuvre qui, dirigée contre le point de soudure anglo-belge, eût pu avoir des conséquences funestes, était déjà parée.
Foch, inquiet à juste titre pour ce point sensible, avait prescrit au maréchal Haig et au général Gillain de combiner étroitement leurs opérations; et il avait même autorisé la mise en ligne de ce côté du Détachement d'Armée du Nord du général de Mitry. Les 28e, 154e, 34e et 133e divisions françaises vinrent se ranger au pied de la ligne des monts, du Kemmel à Bailleul.

le 25 avril
Ce puissant renfort suffit à peine à contenir la poussée furieuse de 9 divisions allemandes qui se ruèrent le 25 avril, à 7 heures du matin, contre le front Wytschmte-Dranoutre.
Von Arnim mène cette action avec une division par 2 kilomètres de front environ.
Ce sont, en première ligne, la 56e division renforcée par un régiment de la 233e; le Corps alpin ; la 4° division bavaroise et une brigade de la 22° division. En soutien immédiat : une brigade de la 233e division et la 10e division d'Ersatz.
Les objectifs sont : le mont Kemmel pour le Corps alpin et Dranoutre pour la 4e division bavaroise.
Après un violent combat, Dranoutre est arraché aux régiments de notre 34e division épuisée (83e, 59e, 88e régiments d'infanterie, 23e régiment d'artillerie de campagne), et, dès le matin, le mont Kemmel était entouré.
Ce mamelon est enseveli sous un déluge d'obus toxiques; et cependant, le soir encore, nos avions signalaient, étroitement.bloqué par la mort, un petit îlot de capotes bleues...
Aucun secours ne pouvait lui parvenir; il devenait de plus en plus petit; il finit par disparaître.
Les régiments de la division Madelin, la glorieuse 28e (22e, 30e, 99e régiments d'infanterie, 54e régiment d'artillerie de campagne) avaient payé du sang de 5400 hommes l'honneur d'inscrire le nom du Kemmel sur leurs drapeaux.

le 26 avril
Maître du mont Kemmel, Arnim infléchit son attaque du nord vers l'ouest, le 26 avril, pour prendre à revers la ligne des monts.
Ses premiers objectifs sont le Scherpenberg et le village de Locre .
Les Allemands progressent, malgré des pertes effroyables.
Le Corps alpin qui, au début de l'action mettait en ligne 140 fusils par compagnie, n'en a plus que 70 ou 80. Les opérations du Kemmel resteront, dans l'esprit des soldats allemands tombés entre nos mains, le souvenir d'une atroce boucherie.

Le 27 avril, Locre tombait; mais de furieuses contre-attaques franco-britanniques bloquaient l'ennemi dans sa conquête, et à gauche les Anglais reprenaient Vormezeele.

Le 28 avril, nouvelle attaque allemande dans la région de Locre . L'objectif est le mont Rouge.
Mais le Détachement des Armées du Nord veille. Non seulement l'ennemi est arrêté cette fois, mais il est refoulé et chassé du Scherpenberg qu'il avait réussi à atteindre.

Le 29 avril, une dernière et puissante attaque ennemie contre les Monts échoue.
Les Allemands, épuisés, renoncent à prendre Ypres.
Cette attaque, menée par 10.000 hommes, fut un échec sanglant pour les Allemands.
Aux deux extrémités du front, les Britanniques à gauche entre la Clytte et Zillebeke, les Français à droite au château et au parc de Locre, demeurent inébranlables. Tous les assauts sont brisés et les Allemands ne peuvent même pas aborder les lignes alliées.
Au centre, ils sont plus heureux. Ils réussissent à s'emparer du village de Locre  et à progresser au delà jusqu'au carrefour de la route de Westoutre à 1 kilomètre au nord de Locre, mais leur succès est de courte durée.

Une contre-attaque vigoureuse menée par les dragons français (4e, 5e, 8e, 12e   régiments de Dragons), les repousse et ne leur laisse en lin de journée qu'un léger saillant formé vers le cabaret de Brulooze.
Epuisés, ils ne renouvelleront plus leurs attaques.

L'offensive sur les Monts est terminée. Les Allemands auront pu détruire Ypres, mais ils ne pénétreront pas dans ses ruines.

Puis, la bataille s'éteint ici comme à Villers Bretonneux, comme à Givenchy; elle se fond dans la lutte sournoise, tenace et sans issue des tranchées. Son résultat n'a pas été nul cependant pour Ludendorff.
Si 160 divisions allemandes ont été engagées depuis le 21 mars, si elles ont été tellement maltraitées qu'il a fallu consacrer plus de la moitié de la classe 1919 et une partie de la classe 1920 à combler les vides qui y ont été creusés, il n'en demeure pas moins que la plus grande partie des réserves françaises ont été enfournées dans l'étroit couloir qui constitue la seule communication entre les Armées françaises et britanniques.

Le Détachement d'Armée du Nord du général de Mitry, dont le quartier général est à Esquelbecq, a déjà 5 divisions engagées en première ligne et tient en deuxième ligne 7 divisions d'infanterie et 3 divisions de cavalerie. Micheler à 5 divisions dans la région de Pecquigny. Maistre en a 4 dans la région de Doullens.
Ce sont 21 divisions d'infanterie et 3 divisions de cavalerie enlevées aux réserves françaises et sacrifiées pour étayer le front britannique.

La plus grande partie de ces forces demeurent disponibles, il est vrai ; mais étant donné la difficulté des communications avec la région du Nord, leur éloignement de la région de Paris n'en constitue pas moins un fort grave inconvénient.
En réalité, pour parer à toute surprise, depuis Compiègne jusqu'à l'Alsace, Foch ne dispose plus que de 20 divisions françaises et de 3 divisions britanniques, ces dernières retirées du feu parce que trop éprouvées et ne pouvant fournir de longtemps un nouvel effort.
Encore, pour réaliser ces disponibilités, a-t-il fallu accepter largement l'offre du général Pershing et placer en première ligne des divisions américaines.
Trois de ces divisions sont venues dans les secteurs des 2e et 8e Armées; l'une d'elles, la 1e a déjà vaillamment pris part aux combats dans la région de Villers-Bretonneux.

Or, à la date du 1 mai, l'ennemi recevant sans cesse des renforts de Russie, reconstitue ses disponibilités : il dispose d'une réserve de 62 divisions.

Mais le Généralissime n'est pas homme à attendre passivement les coups de la fortune : « Quand on est faible, on attaque », disait-il à ses élèves de l'École de Guerre. Et puisque, par la force des circonstances, ses réserves se trouvent massées vers Amiens, c'est du côté d'Amiens qu'il songe déjà à préparer une attaque.
Aussi bien, c'est ici pour les Alliés un point vital; s'ils réussissent à dégager la voie ferrée de Paris, les opérations ultérieures seront grandement facilitées.
Elles ne le seront pas moins si les mines de charbon de Bruay, mises à l'abri du canon allemand, peuvent fournir un rendement plus important.
Donc, ayant solidement étayé le front britannique, Foch, désormais tranquille pour le Nord, donne aux Généraux en chef sa directive N° 3.

Aux termes de ce document, il s'agit de se tenir prêt à prendre l'offensive, quoi que fasse l'ennemi : une offensive à fond, sans objectifs limités, n'ayant d'autre limite que la défaite et la désorganisation totale de l'ennemi, par l'exploitation à outrance du succès obtenu.
Le Général en chef indique les régions où les résultats les plus importants peuvent être escomptés
Le secteur entre Oise et Somme, où les 1e et 3e Armées françaises et la 4e Armée britannique sont en mesure de dégager la voie ferrée d'Amiens; le secteur de la Lys où les 1e et 2 Armées britanniques et le D. A. N. doivent dégager les mines de Béthune et le saillant d'Ypres.

Puis, tout en jetant un dernier coup d’œil sur cette région du Nord où l'invasion paraît définitivement arrêtée, Foch actionne nos alliés italiens. Il a le droit de le faire, car le 2 mai une conférence, tenue à Abbeville, a étendu ses pouvoirs au delà des Alpes. Cette conférence a supprimé le Comité exécutif du Conseil supérieur de la Guerre de Versailles, et le général a désormais seul la charge de coordonner l'action des Alliés sur tout le front occidental, depuis la Mer du Nord jusqu'à l'Adriatique.

Le 24 mai, il adresse donc au général Diaz un télégramme pressant, lui rappelant que la situation exige une attaque très prochaine de son Armée pour décongestionner le front de France.

 
Offensive allemande dans l'Aisne (du 26 mai au 1 juin 1918)
 

Y étaient :

  • Paul BOSQ de Saint-Maximin (61ème BTS), blessé, il décède le 1 juin 1918 à l'hôpital Auban Moet d'Epernay (Marne).
 
 

Tout annonçait une bataille imminente; depuis le début de mai, les indices se multipliaient de la préparation d'un suprême effort.
Les transports de Russie continuaient, très intensifs; la presque totalité de l'artillerie allemande était maintenant en secteur sur notre front et, avec elle, une partie de l'artillerie autrichienne.
Ypres, Calais, Amiens, Compiègne, Chalons paraissaient plus particulièrement menacés.
Devant le Chemin des Dames, au contraire, le calme demeurait profond ; et c'est surtout dans le secret de la préparation de l'attaque que réside le principal mérite de cette opération pour le Haut Commandement Allemand.

Pour assurer ce secret, l'es précautions les plus minutieuses ont été prises, suivant les principes déjà mis en pratique lors de l'offensive du 21 mars. Six divisions seulement ont été transportées par voie ferrée; les vingt autres ont gagné leur zone de combat par une série de marches de nuit.
Pendant le jour, dès 4 heures du matin, aucune colonne ne circulait; tout le monde était abrité, et les rues des cantonnements étaient tenues désertes. Les itinéraires étaient calculés de manière à éviter que deux régiments de brigades différentes pussent se croiser; chaque unité restait dans l'ignorance des mouvements généraux.
De même les cantonnements étaient rigoureusement consignés aux militaires des unités voisines; jamais une même localité n'abritait des éléments appartenant à deux divisions différentes.
Les mouvements d'artillerie furent l'objet d'une attention particulière. Tout bruit était évité dans le voisinage des secteurs d'attaque; et, dans les batteries qui prenaient leurs positions, les roues des voitures étaient matelassées, les sabots des chevaux enveloppés de chiffons, les organes des pièces habillés de manière à éviter tout cliquetis métallique.

Et c'est ainsi que le 26 mai au soir tout le dispositif était à pied d’œuvre devant nos positions du Chemin des Dames : dix divisions en face de notre 22e ; six divisions en face de la 21e ; cinq divisions devant la 61e.
Pourtant, malgré ces minutieuses précautions, la préparation, commencée le 1 mai, était déjà éventée depuis le 23.
Comme au temps de Verdun, des déserteurs étaient passés dans nos lignes, et le général de Maud'huy, commandant le 11e Corps, savait d’une manière précise, le 26 à midi, que le Chemin des Dames serait attaqué la nuit suivante, à 3 heures du matin.
La seule surprise fut donc, en définitive, dans les moyens formidables dont disposait l’assaillant ; à celle-là, l’état de nos propres moyens ne permettait pas de répondre.

Donc, le 26 mai, à 17 heures, le général Duchêne alerte la 6e Armée. A 19 heures, les dispositions de combat sont prises partout. A partir de 20 heures, l’artillerie des divisions, renforcée par tous les moyens disponibles, exécute les tirs de harcèlement et d’interdiction prévus par le plan de défense; elle inonde de projectiles les voies d’accès et les points de passage obligatoires de l’arrière ennemi.
A la nuit tombante, des détachements allemands cherchent à jeter des ponts sur l’Ailette. Pris immédiatement à partie par nos mitrailleuses, ils doivent renoncer à leur projet.
En même temps, le général Duchêne fait occuper la deuxième position, au sud de l'Aisne, par la 157e division.

Le 27 mai, à 1 heure du matin, l’artillerie allemande déclenche un tir d'une extrême violence sur tout le terrain compris entre nos premières lignes et nos batteries, en même temps que son artillerie lourde exécute un tir d’interdiction très puissant sur nos arrières.
Quatre mille pièces de tous calibres hurlent en même temps, devant lesquelles les 1030 canons, que nous avons pu à grand peine réunir, se révèlent bientôt insuffisants, malgré l’héroïsme du personnel.
L'air est empesté de gaz toxiques ; l’ennemi fait surtout usage d’obus à ypérite. Nos batteries sont annihilées; les petits réduits de la première ligne sont écrasés et nivelés; les mitrailleuses sont détruites.

A 3h30, la fumée s'est à peine dissipée que les défenseurs survivants, hébétés, voient surgir dans le demi-jour l’infanterie allemande. Dès le commencement de la préparation d’artillerie, les régiments de première ligne de l’attaque s’étaient en effet massés en avant de leurs tranchées, avaient franchi l’Ailette au moyen de passerelles de fortune, et étaient venus se rassembler tout près de nos réseaux, dans lesquels, à l’abri du feu de leurs canons, ils s’étaient hâtés de pratiquer des brèches à la cisaille.
Chacun d’eux était accompagné d’une compagnie de lance-flammes, d’un renfort de mitrailleuses et d’une batterie d’artillerie.
C’est une marée qui submerge tout.
Cette masse se précipite en avant, sans se préoccuper des intervalles qui doivent être pris en progressant dans les organisations françaises ; elle se subdivise en des milliers de petites colonnes qui s’infiltrent par tous les cheminements, glissent partout des mitrailleuses, et, suivant de très près un formidable barrage roulant, tirent en marchant....
Quelques îlots, non détruits par le canon, opposent une résistance désespérée.
Les braves qui les occupent ne songent guère à se rendre ; ils avertissent comme ils peuvent les camarades en arrière par la T. S. F., par les pigeons voyageurs; et ils restent là, à se faire tuer sur place.
Pas un homme du bataillon Chevalier, du 64e régiment infanterie, n’est revenu de cet enfer.
Nos bataillons de soutien, coiffés démasques, contre attaquent vigoureusement, poussant jusqu’aux dernières limites l’esprit de sacrifice.
Vers 8 heures du matin, les 21e et 22e divisions, dont les premières positions sont submergées et dont les réserves sont engagées dans des contre attaques furieuses, n’existent plus.
Pêle-mêle avec leurs faibles débris, l’ennemi a gagné le Chemin des Dames. Le terrain est cependant disputé pied à pied. Les généraux Dauvin et Renouard, commandant les 21e et 22e divisions, se multiplient et demeurent bientôt seuls à diriger leurs bataillons disloqués et décimés.
Les débris des régiments combattent, mélangés sur une seule ligne : à la 21e division, le 64e RI, le 93e RI, le 137e RI ; à la 22e, le 19e RI, le 62e RI, le 118e RI, rivalisent d’héroïsme.
Cinq colonels sur six ont été ensevelis dans leur poste de commandement ; tous les chefs de bataillon de la 22e division sont tombés....

Dès 5 heures du matin, le général de Galembert, commandant la 157e division, dont la mission était de défendre la deuxième position, reçoit l’ordre d’envoyer 4 bataillons au nord de l’Aisne, pour appuyer la 22 division.
A peine ces 4 bataillons ont-ils franchi la rivière qu’ils tombent sous un feu violent d’infanterie et de mitrailleuses, de la part d'un ennemi qui occupe déjà le Chemin des Dames.
Un désordre momentané se produit; puis ces bataillons se déploient et, bravement, la baïonnette haute, se portent au devant des Allemands. Mais, engagées de la sorte, nos sections échappent déjà à toute direction.
Elles sont englobées dans la retraite des faibles éléments restant des 21e et 22e divisions, et balayées avec eux sur l’Aisne par les masses ennemies.
Il ne restait plus à la garde de la deuxième position et des ponts de l’Aisne que 4 bataillons de la 157e division (un bataillon du 214e, un bataillon du 233e et deux bataillons du 252e).
Ils font bonne contenance; mais, vers 10 heures du matin, le 9e Corps britannique ayant été refoulé à droite, leur ligne est prise à revers par Villersen-Prayères.
Le Corps allemand de Vichura progresse aussi vers Vailly ; et de Pontavert à Reims, toute la ligne est enlevée, comme le Chemin des Dames.
La VIe division de réserve bavaroise, les Vet VIe divisions .ont débordé la forêt de Pinon en s’infiltrant par les ravins de Vauxaillon et de Chavignon, et elles sont parvenues à arracher le massif de Laffaux à la 61e division.

A 11 heures du matin, 12 divisions allemandes bordent l’Aisne depuis Chavonne jusqu'à Berry au Bac et Reims, et le XVe Corps refoule les divisions britanniques.

Vers midi, l’Aisne est franchie pêle-mêle par les divisions allemandes et par les débris de notre 11e Corps.
Les positions de la deuxième ligne, trop faiblement gardées, sont encerclées et submergées; et le soir, à 20 heures, les Allemands ont atteint la ligne Vauxaillon, Vrégny, Braine, Bazoches, Fismes.
Sur un front de 30 kilomètres, ils ont creusé une poche d’une vingtaine de kilomètres, franchi l’ailette et l’Aisne, et ils bordent la Vesle après avoir annihilé nos divisions de première ligne.
De la 22e division, peu d’hommes ont échappé: à peine la valeur de deux compagnies reconstituées au moyen de permissionnaires rentrés le soir, de quelques prisonniers évadés et des hommes des convois.
La 21e division a perdu 160 officiers et 6.000 hommes.
De la 157e division, il reste 1200 hommes; de la 61e à peine 800.
Les débris des 214e, 252e, 333e, 219e, 264e, 265e, 64e, 93e, 137e, 19e, 62e, 118e régiments d’infanterie auxquels se sont joints quelques artilleurs des 35e, 236e et 251e régiments de campagne, continuent d’ailleurs à faire tête à l’ennemi et se battent héroïquement, disputant le terrain pied à pied, bien que les batteries, dont presque tout le personnel a été asphyxié, soient tombées aux mains de l’ennemi.
La nuit n’arrête pas la poursuite. Grâce à leur nombre, les Allemands manœuvrent de façon à séparer complètement le 9e Corps britannique de la 22e division. Heureusement, les auto-canons et les auto-mitrailleuses du 1e Corps de cavalerie accourent de Fismes et réussissent momentanément à aveugler cette redoutable brèche.

Le 28 mai, à 1 heure du matin, la X'e division allemande franchit la Vesle près de Bazoches et pousse vers les bois de Dôle.
La Ve division de la Garde franchit la rivière à l’est de Fismes, et marche sur Courville.
Débordés sur leurs deux flancs, attaqués de. front par deux divisions, les défenseurs de Fismes se replient vers deux heures du matin.
A midi, toute la ligne de la Vesle est perdue; et les Allemands, à qui nous ne pouvons pas encore opposer des forces suffisantes, progressent lentement au sud de la rivière, faisant surtout porter leurs efforts sur les ailes, pour agrandir la trouée.
Vaines tentatives, car si nous abandonnons à gauche le plateau de Crouy, les deux pivots de Soissons et de Reims tiennent bon; ce jour-là, l’avance ennemie n’est que de 5 ou 6 kilomètres.

Cependant, devant la rupture inattendue et trop facile de notre première ligne, le Haut Commandement allemand a pris la décision de transformer en une attaque à fond cette opération qui ne devait être d’abord qu’une démonstration.

Déjà la plupart des divisions, considérant comme atteint l’objectif qui leur avait été assigné, commençaient, le 28 au soir, à s’organiser sur les positions conquises; mais un ordre de Ludendorff' leur parvient : « Le combat, dit le Quartier Maître Général, prend désormais le caractère de la guerre de mouvement : poursuite de l’ennemi, rapide, ininterrompue. Ne laisser aucun répit à l’ennemi, même pendant la nuit. Ne pas s’attendre les uns les autres. »
L’empereur, le Kronprinz, Hindenburg, Ludendorff sont accourus. Eblouis par l’étendue de cette victoire qu’ils n’osaient espérer, ils croient la France à terre. ils sonnent l-hallali.
Ils le sonnent plus discrètement que l'offensive du 21 mars, il est vrai, de crainte de quelque nouvelle désillusion.
Ils indiquent bien à la presse l’importance militaire de la chute du Chemin des Dames, et l’importance morale d-une défaite infligée à la seule Armée française, à cette Armée que l’on s’était habitué à considérer comme le plus solide rempart de l’entente.
Ils célèbrent la prestigieuse habileté du Haut Commandement qui a su percer le centre de Foch, tandis que les réserves alliées avaient été savamment attirées ailleurs.
Ils signalent le prodige qu'a été ce formidable déplacement de forces, dans le secret le plus profond... mais c'est tout.
Plus de folles utopies, plus de promesses d'une rupture définitive du front. Ils ont enfin compris que ce n'est pas une victoire locale, si complète qu'elle puisse être, qui abattra jamais la constance française.
Paris, que les avions visitent presque toutes les nuits, dont les obus de la « Bertha» éventrent toutes les deux ou trois heures quelque maison ou quelque église, paraît, non pas insensible, mais résolu à braver fous les dangers, et à les braver à la française : en riant. De tout cœur, chaque Français a fait sienne la fière déclaration lancée par Clemenceau à la tribune de la Chambre, au milieu des acclamations :
« Nous remporterons la victoire si les pouvoirs publics sont à la hauteur de leur tâche. Je me bats devant Paris; je me bats à Paris ; je me bats derrière Paris. »
Et pour expliquer son imperturbable optimisme, le Président a montré les transports américains déchargeant activement dans nos ports leur magnifique apport d'énergie.
Il y a déjà en France plus de 600.000  jeunes gens du Nouveau Monde.
Toute la 1e Armée américaine, forte de 5 divisions, est même en secteur. Elle est commandée par le général Ligget, dont le quartier général est à Neufchâteau. Six divisions de la 2e Armée sont dans les centres d'instruction, ainsi que trois divisions de la 3e Armée.

Foch reste calme, comme à son habitude, au milieu de la tempête. Il sait que l'ennemi sera arrêté dès que les réserves auront pu être amenées à pied d’œuvre, et il a pris les mesures nécessaires pour que ces réserves arrivent au plus vite. Il avait considéré tout d'abord l'attaque du Chemin des Dames pour ce qu'elle était : une puissante démonstration.

Mais dans la nuit du 28 au 29, c'est-à-dire à peine quelques heures après le  changement de décision du Haut Commandement allemand, devant les progrès réalisés par l'ennemi, il avisait le maréchal Haig de la nécessité où il allait se trouver de retirer quelques divisions françaises du front britannique.
Il prescrivait en même temps au général Maistre de rapprocher des quais d'embarquement les 4 divisions de la 10e Armée ; il envoyait à Montmort le général Micheler, avec l'Etat – Major de la 5eArmée, qu'il mettait à la disposition du général Franchet d'Espérey, commandant le G. A. N., pour y prendre le commandement d'un groupe de 6 divisions destinées à tenir solidement la Montagne de Reims; il appelait enfin sur la Marne la division américaine de la réserve générale.
Quant à Pétain, faisant sagement la part du feu, il avait déjà ordonné l'organisation d'une ligne de résistance jalonnée par la Crise, les hauteurs du Grand-Rozoy, Arcy-Sainte-Restitue et les mamelons du Tardenois, sur laquelle le 1e Corps d'Armée à gauche et le 210 Corps à droite devaient recueillir et encadrer les 30e et 11e Corps disloqués.

Le 29 mai au matin, les Allemands poursuivent leur offensive avec une nouvelle vigueur.
On se bat dans Soissons. Micheler, accouru à Cumières, improvise un front entre Arcy-le-Ponsard et Prunay, et arrête net l'ennemi devant les faubourgs de Reims. Le brave de Maud'huy dispute âprement les abords de la forêt de Villers Cotterets avec les débris du 11e Corps.
Le soir, s'ils tenaient à peu près Soissons en flammes, les Allemands avaient surtout progressé vers le Sud, ayant enlevé Fère en Tardenois, franchi l'Ourcq et poussé leurs masses jusqu'à 5 kilomètres de la Marne.
Heureusement les charnières tiennent bon ; autant les hauteurs de Chaudun que les abords de Reims; et la poche prend l'aspect d'un triangle dont la pointe s'allonge vers Jaulgonne.
Décidément, le danger est maintenant sur la Marne, et non ailleurs. Foch avertit Sir Douglas qu'il va appeler la 10e Armée dans la forêt de Villers-Cotterets; qu'il aura recours aussi, peut être, aux disponibilités britanniques; qu'en tout cas, l'Armée Debeney va être affaiblie et aura besoin d'être étayée par l'Armée anglaise.
En revanche, le Généralissime prescrit à l'Armée belge de prendre à son compte une partie du front britannique, et de s'étendre. jusqu'à Ypres.
Ces mesures ne pouvaient pas être prises plus tôt : le 27, la 2 Armée britannique et notre G.A.N. avaient encore été violemment attaqués après une puissante préparation d'artillerie qui faisait présager une opération de grand style.
Même le front avait fléchi, et la ligne n'avait réussi à s'accrocher que le soir à KruitstraatHoek et, par l'Eclusette, à l'extrémité nord de l'étang de Dickebush en Flandres

Le 30 mai, deux nouvelles divisions allemandes viennent renforcer les colonnes qui poussent vers la Marne: la 103e et la 231e.
Le général commandant cette dernière division a donné à ses bataillons l'ordre formel d'atteindre la rivière :
« C'est une question d'honneur pour nous, a-t-il écrit le 29, d'atteindre la Marne demain. »
La Marne !.. Rivière au nom magique dont les flots calmes roulent tant de souvenirs ..
Effectivement, la 231e division atteint la Marne ce jour-là, à 14 heures, entre Brasles et Mont-Saint-Père.
La 28e division l'atteint à 18 heures à Jaulgonne, mais les ponts sont détruits.
A l'ouest, la progression est plus lente. Les trois divisions du Corps Winkler s'emparent bien de Vierzy et d'Oulchy le Château, mais leurs pertes sont sensibles. A l'est, le Corps Schmettow et la Ie Armée de Fritz von Below sont complètement arrêtés devant Verneuil et Ville en Tardenois, et ne peuvent forcer la résistance des défenseurs de Reims.

Le 31 mai, Ludendorff appelle de nouvelles divisions. Il intensifie son effort à l'est et à l'ouest pour élargir la poche trop étroite sur la Marne.
La 28e division de réserve vient renforcer la 1e division de la Garde de vers Longpont, et la 232e division accourt vers ChâteauThierry.
De Maud'huy contre attaque héroïquement sur Chaudui et reprend cette localité à l'ennemi.
Robillot enraye la poussée des Allemands qui, maîtres de Neuilly Saint Front, s'infiltraient dans la vallée de l'Ourcq.
Cette lutte acharnée absorbe les disponibilités allemandes.
Ludendorff ne peut plus disposer maintenant que de six divisions, sans dégarnir les autres secteurs. Un nouveau Conseil de guerre, tenu ce jour-là à Fismes sous la présidence de l'Empereur, décide que ces six divisions seront lancées dans la fournaise.

Le 1e juin, un ordre laconique est lu aux troupes:
« Sur le désir de Sa Majesté l'Empereur et de Son Excellence le maréchal Hindenburg, l'offensive sera continuée... »

Seulement, ce n'est pas au sud de la Marne que va se poursuivre l'effort.
Cette rivière sera au contraire pour l'Armée impériale une excellente couverture contre une offensive venant du sud. On créera simplement entre Château-Thierry et Dormans une tête de pont sur la rive gauche, pour faciliter une progression ultérieure, et on agira vigoureusement aux deux ailes : a l’est contre Reims ; à l'ouest contre le massif forestier Compiègne, Villers-Cotterêts.
L'attaque de ce dernier massif nécessitera deux opérations simultanées : l'une partant de l'est contre Villers-Cotterêts, l'autre partant du nord contre Compiègne, afin d'encercler les forces françaises, évidemment massées là, ou de les obliger à la retraite...

 
Offensive allemande vers Compiègne (du 1 juin au 12 juin 1918)
 

Y étaient :

  • Zéphirin SIBON de Saint-Julien (167ème RI), tué le 1 juin 1918 à Corcy (Aisne)
  • Etienne VENTRE de Bras (367ème RI), tué le 1 juin 1918 à Bonnesvalyn (Aisne).
  • Marius REVEL de Nans (1 BS), tué le 2 juin 1918 à Mont-de-Choisy (Oise).
  • Adrien SABATIER de Bras (162ème RI), tué le 10 juin 1918 à Antheuil (Côte d'Or).
  • Louis MICHEL de La Verdière (125ème RI), tué le 11 juin 1918 à Mery (Oise).
 
 

Foch ne demeure pas inactif. Il a installé son poste de commandement à Mouchy-le-Chatel, et il assiste au débarquement de ses divisions de renfort.
Un front a été confié au général Maistre entre Moulin-sous-Touvent et Faverolles, et les divisions de la 10e Armée viennent l'occuper.
Maistre aura son quartier général à Chantilly-Lamorloye.

Ce 1 juin, la lutte se poursuit, violente.
Au sud, toutes les tentatives de passage de la Marne par l'ennemi échouent. La jeune division américaine et le Corps colonial qui défendent Château Thierry doivent bien, le soir, abandonner la ville à des effectifs très supérieurs, mais ils font sauter les ponts.
Un bataillon allemand de la 36e division, qui avait réussi à franchir la rivière sur un bac, est rejeté à la baïonnette dans la Marne par une fougueuse contre attaque américaine.
A l'est, Micheler a organisé ses lignes, et il tient en respect à la fois la 12e division bavaroise, qui avait l'ordre formel d'entrer dans Reims coûte que coûte, et la 238e division qui s'acharnait contre le fort de la Pompelle. Tous les efforts de l'ennemi sont vains de ce coté : malgré chars d’assaut, obus asphyxiants, bombes et liquides enflammés, les Allemands ne progressent pas.
 
Le soir, ils perdent même Méry, où ils avaient réussi à entrer dans la matinée.
A l'ouest, vers Villers-Cotterets, la lutte est aussi très dure. Ici les masses allemandes, nouvellement engagées, témoignent d'un enthousiasme extraordinaire ; les soldats croient marcher sur Paris.
Leurs progrès sont faibles cependant et ne se réalisent qu'aux prix d'effroyables hécatombes.
Le soir, si l'ennemi a légèrement avancé vers Moulin-sous-Touvent, il n'a pu mordre en aucun point dans la forêt de Villers-Cotterets ; et les ruines d'Etrépilly, de Passy en Valois, de Troesnes ne constituent vraiment pas une conquête d'importance.
Le 11e Corps a tenu héroïquement à Faverolles, à Corcy, à Longpont (7e, 14e, 41e régiment d’infanterie), soutenu par les 26e et 128e divisions et par la 3e division de cavalerie.
C'est une journée d'épopée pour les 92e, 121e, 139e, 167e, 168e, 169e régiments d'infanterie, les 3e et 8e hussards, les 5e, 15e, 2e et 21e dragons, les groupes des 50e, 53e, 252e et 42e régiments d'artillerie de campagne, ainsi que pour les éléments d'artillerie lourde et de tranchée engagés dans ces combats terribles.

Le 2 juin, on sent que l'ennemi s'essouffle. Il se rebute, et la réaction se fait déjà sentir. Ses assauts sont nettement repoussés vers Bouresches, et dans le Tardenois ses lignes reculent.
Entre Aisne et Ourcq, le long de la lisière de la forêt de Villers-Cotterets, nous gardons Longpont et Chaudun. Même, la 26e division et la 3' division de cavalerie contre’attaquent le soir et reprennent Faverolles, où l'ennemi était entré dans la journée.

Le 3 juin, dernière et puissante attaque, entre Aisne et Ourcq, de trois divisions fraîches: la 45e division de réserve, la 115e  division et la 2e division de la Garde, qui sont venues appuyer la 1 division de la Garde, la 28e division de réserve, les 33e et 76e divisions.

A 3 heures du matin, nos unités de première ligne, engagées depuis trois jours et épuisées, étaient dans le désordre de la relève, quand une grêle d'obus s'abattit sur elles. C'était un roulement continu et formidable...

A 4 heures, l'infanterie ennemie débouche en masse. Notre 11e Corps, les 2e, 3e et 6e divisions de cavalerie, troupes d'élite, reçoivent bravement le choc. Dans la région de Troesnes, la première ligne de tranchées est submergée.
Mais tout le monde se bat avec acharnement troupes de relève, troupes relevées, génie, cuisiniers, hommes des convois.
Après un violent corps à corps, l'ennemi est arrêté le soir, après des gains insignifiants, malgré son écrasante supériorité numérique, ses avions, ses obus toxiques et ses sacrifices sanglants. La forêt de Villers-Cotterets demeure inviolée.

Mais maintenant, c'est par le nord que le massif forestier va être pris à partie. Hutier a été chargé de l'opération; et s'il ne l'a pas exécutée plus tôt, tandis que sur l'autre face les 1e et VIIe Armées s'acharnaient dans une lutte sans résultat, c'est qu'il n'était pas en mesure de le faire.

Au demeurant, le général Fayolle, commandant du G. A. R. et le général Humbert, dont la 3e Armée était directement menacée, épiaient ses mouvements. Ils savaient fort bien que les sept divisions allemandes qui, depuis les premiers jours de juin, tenaient seules le secteur Noyon-Montdidier, venaient d'être renforcées par six nouvelles divisions entassées en première ligne; que derrière celles-là avaient été amenées au moins cinq divisions, sinon davantage.

Nos avions signalaient depuis longtemps l'installation de batteries nouvelles. A ne s'y point tromper, un effort sérieux était imminent de ce coté.
Or, instruit par l'expérience des récentes ruées allemandes et se souvenant de Verdun, le général Pétain avait décidé d'inaugurer ici une nouvelle tactique.
C'est un fait que les obus de l'ennemi écrasent toujours nos premières lignes, de sorte que la première vague d'assaut, fort dense d'ailleurs, suffit pour la submerger.
Cette vague pousse droit devant elle, allant le plus loin possible, jusqu'à ce qu'elle soit à bout de souffle. D'autres vagues interviennent, qui dépassent la première et poussent de l'avant, formant de leurs feux un barrage roulant, tandis qu'à droite et à gauche de la masse d'attaque, de fortes réserves agissent sur les charnières, pour élargir la brèche...

Donc, il ne faut laisser en première ligne que les éléments strictement nécessaires pour obliger l'ennemi à exécuter sa préparation d'artillerie et son déploiement. Le gros de nos forces, bien à l'abri dans la deuxième position renforcée, n'ayant pas eu à souffrir de la préparation d'artillerie, arrêtera la vague d'assaut disloquée. A ce moment un renfort puissant, tenu soigneusement en réserve, à l'abri des émotions de la lutte, surgira à l'improviste et foncera sur les réserves de l'ennemi.
Foch est venu installer son Quartier Général au château de Bombon, près de Melun ; il y sera en mesure de diriger et de suivre de plus près les événements.

Le 9 juin, à minuit, sur un front de 40 kilomètres, de Montdidier à Noyon, l'artillerie allemande déchaîne sen ouragan de fer et de gaz asphyxiants.
A 4 h30, l'infanterie de Hutier se lance à l'assaut. Il s'agit, cette fois, d'enlever Compiègne et Estrées Saint-Denis.
A midi, après quatorze charges infructueuses, les masses ennemies ont arraché le mont Renaud et le Plémont à l'héroïsme des cuirassiers à pied; mais les progrès des Allemands sont lents dans la « Petite Suisse », et coûtent fort cher.
A gauche, la résistance des nôtres est vive et les succès de l'assaillant encore plus réduits.

Ses colonnes d'assaut viennent s'écraser sur nos deuxièmes positions et subissent des pertes terribles devant Rubescourt et le Frétoy.
Au centre, où Hutier a massé en première ligne six divisions sur un front de 8 kilomètres, la première position est trop vite submergée pour que les défenseurs de la deuxième aient le temps de terminer leurs préparatifs.
La seconde position est donc enlevée, elle aussi, et une poche de 9 kilomètres de profondeur se creuse. L'ennemi, s'infiltrant dans. la vallée du Matz, prend pied sur l'important plateau de Lataule, merveilleux observatoire qui domine toute la région.
C'est là un accident ; ce n'est pas un désastre.
L'énergie du général Humbert a vite fait de rétablir la situation ; le front n'est nullement entamé et le combat en retraite s'exécute avec ordre, sans que la nuit mette fin à cette lutte furieuse.

Le 10 juin, au petit jour, de nouvelles masses essayent de progresser : à l'est vers Ribécourt, au sud-ouest vers Estrées-Saint-Denis. La poche se creuse, mais ne s'élargit pas.
Au centre, l'ennemi atteint l'Aronde et même Ribécourt ; mais là s'arrêtent ses succès, car Courcelles nous reste et une vigoureuse contre attaque de la division basque nous rend Méry, un moment perdu.
Cependant, dans la soirée, la 10e Armée, pour éviter d'être prise à revers, replie sa droite derrière le Matz et l'Oise, évacuant le saillant dangereux et indéfendable de Carlepont.
Le nouveau front s'établit sur la ligne Ribécourt,Tract-le-Val, Moulin-sous-Touvent.
Le général Mangin, qui vient de remplacer à la tête de cette Armée le général Maistre, appelé au commandement du G. A. N., établit son Quartier Général a Pronleroy.
La bataille est mure ; les dernières réserves de l'ennemi doivent être en mouvement.

Fayolle, qui suit avec attention les péripéties de la lutte, appelle Mangin à son Quartier Général de Noailles. Foch est là, qui assiste à l'entrevue.
Une masse de manœuvre de cinq divisions a été constituée dans la région de Maignelay : ce sont les 48e, 129e, 133e, 152e et 165e divisions; il y a aussi quatre groupes de chars d'assaut. Il s'agit de réunir ces forces et de les pousser en une vigoureuse contre attaque vers Méry et Cuvilly, dans le flanc de l'ennemi.
Il y a urgence. « Quand comptez-vous attaquer ? » demande Fayolle.
« Demain », répond sans hésitation Mangin. Un autre chef, même actif, n'eut pas encouru de blâme en demandant un répit d'au moins quarante-huit heures...

« Demain », le 11 juin, dès l'aube, Hutier précipite ses attaques, mettant tout en oeuvre pour obtenir un succès décisif.
A droite, il s'acharne sur Méry et sur Courcelles ; à gauche, il s'efforce de déboucher de Ribécourt ; au centre, il pousse deux divisions fraîches au-delà du Matz, en direction de Compiègne.
Mais à 11 heures, tandis que sous un soleil de feu la bataille fait rage et que l'ennemi groupe ses disponibilités dans les ravins de Lataule et de Cuvilly en vue d'un effort décisif, voici que les premières lignes allemandes refluent sur un front de 11, kilomètres, depuis l'Aronde jusqu'à Rubescourt.
Une furieuse charge de chars d'assaut, d'avions, de fantassins pleins d'enthousiasme, déferle subitement de ce coté, sans préparation préalable d'artillerie, alors que les Allemands croyaient n'avoir affaire qu'à notre 35e Corps épuisé.
C'est Mangin qui exécute sa mission. Le 1e zouaves, le 9e tirailleurs, le 2e mixte, les 297e, 359, 401e, 321e, 114e, 125e, 412e, 135e, 154e, 155e et 287e régiments d'infanterie, les 102e, 106e, 120e et 121e bataillons de chasseurs à pied, les 32e et 116e bataillons de chasseurs alpins, rivalisent d'ardeur et d'élan.
En un instant Méry, Belloy, le bois de Genlis, la ferme Porte, Antheuil sont enlevés. Deux divisions allemandes se massaient pour se porter sur Compiègne; elles sont bousculées par nos chars d'assaut, et fuient en déroute.
Hutier doit lancer en toute hâte son ultime ressource : les 17e et 206e divisions, pour arrêter la panique et ne pas laisser crever son front.
La nuit, qui interrompt le combat, permet à l'adversaire de se ressaisir, de s'organiser et de faire affluer des renforts; mais la XVIIIe Armée allemande a reçu un choc terrible.

La journée  12 juin voit encore quelques tentatives, notamment dans la région de Ribécourt et sur la rive sud du Matz, vers Mélicocq, elle marque un changement complet dans la situation.
Mangin qui, sur l'ordre d'Humbert, a continué l'offensive de la veille, progresse encore ce jour-là dans la région de Belloy et de Saint-Maur, enlevant a l'ennemi des canons et un millier (le prisonniers.
Le même jour, à 15 h45, après une violente préparation d'artillerie, von Boehm attaquait au sud de l'Aisne, en direction de Villers-Cotterets, dans la région de Saint-Pierre L’aigle et sur le plateau des Trois-Peupliers.
De forts détachements réussirent à s'infiltrer dans les bois par Vertefeuille. Il y avait la une division d'élite : la division de cavalerie à pied du général Ennocque. Les 5e, 8e et 12e cuirassiers résistèrent héroïquement, et ce ne fut qu'après un terrible corps à corps, et au prix des plus lourds sacrifices, que l'ennemi réussit à progresser jusqu'au Ru de Matz.

Le 13 juin, ,à neuf heures, la lutte reprenait, violente, de ce coté, tandis qu'elle s'éteignait vers Mélicocq. Une formidable préparation d'artillerie ouvrait la voie à une nouvelle attaque déclenchée sur le front Coeuvres-Verte feuille. Ce fut pour l'ennemi un nouveau gain d'une centaine de mètres, et l'occasion de pertes terribles.
Puis la bataille s'éteignit à l'est comme au nord. L'offensive sur Compiègne était définitivement enrayée.

 
L'offensive allemande en Champagne (14 et 15 juillet 1918)
 

Y étaient :

 
 

Ludendorff eut le talent de concilier tous les points de vue en annonçant, non pas la paix, mais une offensive pour la paix « Friedensturm »
Ce fût là le nom qu’il décida de donner à la bataille qu’il préparait depuis plus d’un mois
Il s’agit cette fois, en lançant toutes les ressources de l’Allemagne sur un front de 90 kilomètres, depuis la région de Massiges, par Reims, jusqu’à celle de Château-Thierry, d’arriver à Châlons et à Vitry, pour faire tomber; à gauche l’Argonne et Verdun; au centre Reims; à droite la défense de la Marne.....

Le 14 juillet 1918, la machine est au point.
Suivant les procédés du 21 mars et du 27 mai ont consacré l’excellence, renforts et matériel ont été accumulés à pied d’œuvre; chars d’assauts, pièces de tous calibres, dépôts de munitions jusque dans les tranchées de première ligne; matériaux pour la construction de passerelles sur la Marne, abrités dans les bois, au nord de Dormans et de Jaulgonne.
Une nouvelle base d’attaque contre Paris sera ainsi créée, loin du massif dangereux de Villers-cotterêts, et peut-être que devant cette formidable menace, le moral de la France s’écroulera.

Le 15 juillet, à minuit, une préparation d’artillerie, avec obus toxiques et large emploi d’ypérite, ébranle le sol sur plusieurs centaines de kilomètres.
Des obus monstrueux s’écrasent en même temps sur Châlons, sur Epernay, sur Dunkerque, sur Paris, où la «  Bertha » annonce le commencement de la plus grande bataille de tous les temps. Cette débauche de munitions dure quatre heures.
A sa faveur, l’infanterie allemande s’est portée en avant, prête à bondir; des ponts et des passerelles ont été jetées sur la Marne, depuis Gland jusqu’à Mareuil, sur un front de 20 kilomètres .

De Longpont à Bligny, c’est la 7e armée allemande du général Von Boëhm, avec 30 divisions allemandes, dont 16 en première ligne; Devant Reims, de Bligny à Prunay, c’est la 1ere armée, à la tête de laquelle le général Allemand Von Mudra vient de remplacer le général Fritz Von Below, avec 15 divisions Allemandes en première ligne et 7 divisions en soutien; De Prunay à l’Argonne, c’est la 3e armée Allemande du général Von Einem, avec 20 divisions Allemandes dont 12 en première ligne.  

A 4h45, ces masses allemandes se lancent à l’assaut, à travers nos tranchées bouleversées, les divisions allemandes ayant sur un front de 2 km 500 deux régiments en première ligne et un régiment en soutien. Presque toujours deux et souvent trois divisions sont disposées les unes derrière les autres.
L’ordre est d’avancer, coûte que coûte, à raison de 1 kilomètre à l’heure.
Or, la manœuvre se déroule exactement comme elle avait été prévue par le Haut-Commandement français.

En Champagne, dans un magnifique ordre du jour, Gouraud avait demandé à ses soldats de faire preuve d’héroïsme :
«  Le bombardement sera terrible, leur avait-il dit le 7 juillet; vous le supporterez sans faiblir. L’assaut sera rude, mais votre position et votre armement sont formidables; cet assaut, vous le briserez, et ce sera un beau jour. »

La tactique employée fut celle-ci : Pétain avait ordonné d’abandonner la première ligne Française, des îlots de résistance avaient été installés entre la première ligne Française et la seconde ligne.
Les Allemands pénétreront dans la première ligne française, ils ne rencontreront aucune résistance, mais en sortant de cette première ligne pour conquérir la deuxième ligne, ils seront surpris et repoussés par les Français installés dans les îlots de résistance.
Les soldats français contre attaqueront et reprendront leur première ligne de défense.

L'attaque des Allemands sur le front de Champagne était depuis longtemps prévue. Nos observatoires et nos avions avaient signalé devant nos lignes de formidables approvisionnements d'obus. Des minenwerfer nouveaux se découvraient chaque jour.
Enorgueillis de leurs succès vers Amiens et au Chemin des Dames, les Allemands ne doutaient pas de la victoire. Leurs aviateurs avaient plusieurs fois survolé Châlons et laissé tomber d'insolents défis : « Mesdames les Châlonnaises, préparez nos chambres ! »
On savait, par l'expérience des années précédentes, qu'une attaque, menée avec des forces suffisantes et un matériel approprié, est assurée du succès, à ses débuts du moins. Afin de réduire nos pertes au minimum, le Commandement avait, dès les premiers jours de juillet, réglé dans ses plus petits détails l'évacuation de notre première position.

Les troupes de première ligne devaient, au signal donné, se replier sur la position intermédiaire devenue position principale de résistance, et permettre l'arrivée de réserves sur la deuxième position. Seuls, des petits postes d'observation demeureraient sur les parallèles principales et les réduits de la première position, avec mission de lancer des fusées lorsque l'ennemi arriverait devant eux.

L’artillerie Française aura pour rôle de contre battre l’artillerie Allemande, puis d’empêcher les deuxième et troisième vagues d’assauts Allemandes de venir épauler la première vague.
L’artillerie aura pour second rôle d’infliger des pertes les plus lourdes aux différentes vagues allemandes. C’est la défense en profondeur, appelé aussi défense en élastique.

Le bombardement fut terrible, en effet. Les îlots de résistances (composés de soldats français qui s’étaient portés volontaires, on ne peut que se prosterner devant une telle bravoure), restés en avant des positions pour disloquer l’attaque allemande, le supportèrent stoïquement jusqu’au bout, et se laissent détruire.

Quand les colonnes d’assaut allemandes se présentèrent, les soldats français survivants des îlots, poussant l’héroïsme jusqu’aux limites extrêmes du sublime, attendirent la mort d’un cœur ferme, et se laissèrent submerger.
Cependant les soldats français ne se laissent pas impressionner, ils sautent sur leurs mitrailleuses, leurs fusils, leurs revolvers, leurs grenades et abattent tout ce qui se présentent devant eux, certains qui ne trouvent pas d’armes foncent et embrochent des Allemands au couteau.

Les Français passent ensuite à la contre attaque et au cours d’actions superbes, reprennent la première ligne qu’ils avaient volontairement abandonné au début de l’assaut.
Les Allemands sont repoussés, ils sont de plus décimés par nos canons qui en font une véritable boucherie, ils se brisent sur tout les points défensifs Français.
Dès midi, les trois divisions de la Garde Prussienne, la division de Chasseurs Prussiens, les trois divisions Bavaroises avaient perdu plus de la moitié de leurs effectifs et étaient clouées au sol : « coup dur pour l’ennemi, s’écriait le général Gouraud, en remerciant ses héroïques soldats Français, et belle journée pour la France ! ... »

Les marsouins du 1er corps colonial, les 53e,  142e,  415e,  101e,  124e,  130e,  166e,  330e,  366e,  21e,  109e,  149e,  158e,  17e,  116e,  215e,  363e,  27e,  85e,  95e régiments d’infanterie ; les 1er, 3e,  10e,  20e,  21e,  31e bataillons de Chasseurs à pied; les 44e,  101e,  62e,  244e,  12e,  1er régiment d’Artillerie de campagne avaient poussé jusqu’à l’extrême limite du sublime l’abnégation et l’esprit de sacrifice .

 
Offensive allemande sur la Marne de Château-Thierry à Reuil (du 15 juillet au 18 juillet 1918)
 

Y étaient :

  • Fernand REYMOND de Saint-Martin-de-Pallières (346ème RI) tué le 16 juillet 1918 au bois de Condé à Connigis (Aisne).
 
 

Le 15 juillet.
Dans la soirée du 14 juillet la préparation d'artillerie commence vers minuit et l'attaque, dont l'heure est décalée, semble-t-il, de l'ouest à l'est, se déclenche à 1h20 au sud de la Marne, à 1h40 à Chaunuzy.
Pendant la nuit, l'ennemi jette des ponts et des passerelles, sur la Marne, deux entre Tréloup et Dormans, les plus importants, de 5 à 10 mètres de large, d'autres en face de Soilly, Courthiézv, Leuilly, Jaulgonne, Mézy et Chartèves.
Avant le lever du jour, l'ennemi franchit la Marne, et attaque à Mareuil le Port, les divisions de première ligne établies sur la rive sud.
Les positions de Courthiézy, Soilly, Chavenay, Troissy, Nesle-le-liepons sont âprement défendues. Le terrain n'est cédé que pied à pied et toute cette région est le théâtre de combats héroïques.
Les 33e,52e,53e  coloniaux entre autre unités, se couvrent de gloire par leur défense de Mareuil-le-Port et par leur résistance dans les bois de Nesle-le-Repons.
Les Allemands sont arrêtés sur la ligne Celles-lès-Condé, la Chapelle-Monthodon, Comblizy (où déjà les réserves françaises passent à la contre-attaque), Oeuilly, Reuil.
Au nord de la Marne l'attaque, contenue toute la matinée sur la première position par 2 divisions françaises et le 2e corps italien, progresse dans la soirée jusqu'à la seconde position où elle est arrêtée.
Pendant toute la journée, malgré les épais rideaux de fumée qui les dissimulent, les avions alliés repèrent les ponts jetés sur la Marne et les bombardent à faible hauteur ; ils en détruisent plusieurs, précipitant les troupes et les convois dans la rivière ; ensuite, ils attaquent à la mitrailleuse les troupes qui ont débouché sur la rive sud.
Dans la seule journée du 15, les bombardiers français, aidés par leurs camarades américains et britanniques, jettent 44 tonnes de projectiles sur les passages de la Marne et infligent à l'ennemi des pertes considérables.
« Il n'y a guère de fleuve qui ait été aussi bien défendu », dira le journal de Berlin

les 16 et 17 juillet
Grâce à une formidable débauche d’obus toxiques qui a permis aux pontonniers allemands d’établir de nombreuses passerelles au moyen de câbles d’acier, six divisions allemandes ont réussi à franchir la rivière avant l’aube.
Mais ce succès est vite enrayé. A gauche, une division américaine se précipite à la contre attaque dans une fougue magnifique, et rejette l’ennemi dans la Marne, empêchant de ce côté tout élargissement de la tête de pont.

Vers Celtes-les-Condé, c’est à la fois le 502e régiments de Chars d’assauts qui brise l’élan de l’ennemi.

Au centre, Saint-Aignan et la Chapelle-Monthodon nous restent, grâce à l’héroïsme des 125e et 51e divisions (76e, 113e, 131e, 33e, 73e, 273e régiments d’infanterie).

En particulier la division du général Boulangé, la 51e, a perdu 77 officiers et 3300 soldats, les héroïques 33e et 73e régiment d’infanterie sont décimés.
A droite, Oeuilly et le bois de Châtaigniers sont conservés et une vigoureuse contre-attaque de l’infanterie de la 73e division ( 346e,  356e et 367e régiments d’infanterie) ainsi que l’existence de tranchées de deuxième ligne protégées par des réseaux de fils de fer, limitent la poche dans cette région. Vers Épernay, le chemin est barré aussi.

Accroché aux pentes de Damery et de Venteuil , devant Epernay, le 103e régiment d’infanterie, appuyé par un groupe du 26e d’artillerie, oppose à tous les efforts de l’ennemi une résistance victorieuse .
Le soir, la tête de pont des Allemands au sud de la Marne, large d’une vingtaine de kilomètres à vol d’oiseau, ne dépasse pas 5 kilomètres en profondeur .

En outre, sa conservation parait des plus précaires, car les renforts ennemis ne peuvent arriver que lentement, puisque Reims nous reste, par où on pourrait passer la seule ligne de ravitaillement commode. 

Le général Pétain n’en est pas moins inquiet. La présence des Allemands au sud de la Marne menace la ligne Sézanne Vitry Bar-le-Duc, la seule rocade qui lui reste.
Il inclinerait donc à rejeter les Allemands dans la Marne, avant de déclencher l’offensive Mangin, prévue et toujours maintenue pour le 18 juillet, mais qu’il voudrait compléter par une contre-offensive de Gouraud en Champagne. Mais Foch, entêté, ne veut rien entendre .

Ludendorff veut s’engager au sud de la Marne ? Qu’il y aille ! Qu’il y enfourne surtout le plus de divisions allemandes possibles ! Ce sera autant de moins à combattre pour Mangin, et autant de plus à ramener vers le nord dans des conditions difficiles.